Plus de 91,5 millions de femmes âgées de plus de 9 ans vivent avec les séquelles des mutilations génitales féminines (MGF) en Afrique. Et trois (3) millions de filles risquent de les subir chaque année. Les pays qui présentent le plus haut taux de prévalence des MGF parmi les femmes de 15 à 49 ans sont la Somalie (98%), la Guinée (97%), Djibouti (93%) et le Mali (91%). Globalement, les chiffres montrent une régression mais la pratique demeure enracinée. Il y a même certains pays comme l’Ouganda où les autorités ont relevé une recrudescence des MGF interdites depuis 2010. Pourquoi le phénomène ne s’essouffle pas ?
Une approche de lutte contre les MGF qui présente des limites
Face au phénomène, les ONG sont engagées dans la lutte. Leurs actions sont certes salutaires mais semblent présenter quelques insuffisances. Les agents sensibilisateurs sont généralement inconnus dans les communautés pratiquant les MGF. D’où une méfiance des populations et leurs messages ont peu de chance de gagner leur adhésion. Ces messages tournent, la plupart du temps, autour des conséquences néfastes des MGF. Pourtant, ces communautés en ont une perception bien déférente. Par exemple, la mort d’une victime peut être interprétée comme la colère d’un génie. Aussi, les canaux de communication utilisés ne sont pas toujours les plus adaptés. En outre, le soutien financier apporté aux exciseuses qui acceptent de déposer le couteau et la protection accordée aux filles qui disent non aux MGF demeurent faibles. A cause des budgets limités, les actions des ONG sont ponctuelles et ne s’inscrivent pas dans la durée pour avoir un impact à long terme. Pendant les séances de sensibilisation, plusieurs exciseuses déclarent abandonner l’excision. Mais une fois les regards détournés, elles reprennent le couteau. Quant aux lois pénalisant les MGF, d’une part, leur conception ne prend pas en compte l’avis des communautés pratiquant les MGF, et d’autre part, elles ne sont pas suffisamment vulgarisées dans ces communautés qui vivent souvent selon des normes traditionnelles et culturelles en marge des lois formelles. C’est pourquoi, ces actions sont souvent perçues comme étant hostiles à la culture locale.
Des MGF sources de revenu et de statut social
Les MGF sont considérées parfois comme une condition préalable au mariage: un double moyen de se garder pure jusqu’au mariage, puis de rester fidèle à son époux. Les filles qui n’y adhèrent pas sont considérées comme sales, frivoles et indignes d’être mariées. Elles sont donc marginalisées. Les exciseuses jouissent de certains privilèges dans leurs communautés, elles sont considérées comme des gardiennes de la tradition et leur parole compte. De ce fait, elles reçoivent divers présents en nature comme en espèces. Les MGF constituent donc une source de revenus. Par exemple, Oumou Ly, une ancienne exciseuse malienne excisait 40 fillettes chaque lundi et autant le jeudi et gagnait entre 200 mille et 300 mille francs CFA par semaine soit 7 fois le SMIG (40 000 francs CFA) au Mali. La prestation pour une femme adulte coûtait 10 000 francs CFA. Dès lors, les MGF constituent un business très lucratif. Cela amène les exciseuses à se professionnaliser et à s’exporter même au-delà des frontières. Par ailleurs, les exciseuses peuvent aussi vendre les organes féminins sectionnés et le sang des victimes aux féticheurs et marabouts qui les utilisent à des fins mystiques. Pour renforcer son pouvoir, avoir la prospérité dans les affaires, une promotion dans son travail, le succès et la protection spirituelle contre ses ennemis, des politiques, des hommes d’affaires, de hauts fonctionnaires et travailleurs, des sportifs et bien d’autres recourent aux services de ces féticheurs et marabouts. Ainsi, c’est tout un écosystème économique qui se développe autour des MGF. Les uns et les autres faisant tout pour conserver leurs privilèges et avantages, ce qui crée une véritable résistance au changement. Par conséquent, tant
que les exciseuses n’ont pas d’alternatives financières crédibles et durables, elles ne renonceront pas aux MGF.
Quelle stratégie alternative ?
La lutte contre les MGF exige une stratégie plus systémique et plus participative avec des solutions contextualisées. Ainsi, des personnes issues de ces communautés devraient être davantage impliquées dans les actions pour une prise de conscience collective. Cela serait bénéfique pour déconstruire le mythe culturel des MGF et le déconnecter du mariage par exemple. Pour y arriver, les communautés devraient briser le tabou sur la sexualité et donner une bonne éducation sexuelle à leur progéniture au lieu de recourir à la mutilation pour les dissuader d’une sexualité débridée. En ce sens, il faudrait remplacer les cérémonies d’excisions/mutilations génitales par des rites où les filles reçoivent une éducation sur la sexualité et la gestion du foyer. Les exciseuses pourraient être reconverties en éducatrices sexuelles et avoir la charge des rites remplaçant les MGF en contrepartie d’une rémunération. Elle devra être renforcée par d’autres sources de revenus à travers des programmes de formation et un appui financier pour des activités lucratives. Les médias communautaires pourraient être d’une grande utilité pour sensibiliser les populations à l’abandon des MGF à travers des messages en langues locales. Ils pourraient aussi promouvoir les rites d’éducation sexuelle des filles pour qu’ils s’imbriquent dans la culture. Les nouvelles générations devront être une cible privilégiée, car leur rejet des MGF serait un atout pour arriver à bout du phénomène. Pour ce faire, les acteurs de la société civile seraient des canaux privilégiés pour la diffusion de message à leur attention. Des mesures devront être prises pour interdire l’usage de parties humaines et du sang humain par les marabouts, féticheurs et autres mystiques. Une sensibilisation pourrait se faire avant de consacrer une répression lourde et sévère. Enfin dans le but d’avoir une adhésion populaire et renforcer le respect de la loi, celle-ci devrait être élaborée en concertation avec les communautés locale.
La lutte contre les MGF est un long combat qui ne peut être gagné sans la prise en compte des résistances culturelles, mais aussi des enjeux économiques liés à de telles pratiques. Des campagnes de sensibilisation sporadiques ou des lois aussi répressives soient-elles ne seront efficaces que s’il y a une adhésion et implication populaire. D’où la nécessité d’une approche plus globale et plus adaptée qui émanerait du contexte local.
FANGNARIGA YEO, activiste des droits de l’homme et blogueur.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique
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