Au moins 135 Peuls ont été massacrés samedi par des milices dogons et bambaras. Une dérive sanglante dont le gouvernement malien est en grande partie responsable, selon Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel.
C’est l’attaque la plus meurtrière au Mali depuis plus de six ans. Au moins 135 personnes ont été massacrées samedi matin par une milice dans deux villages du centre du pays, non loin la ville de Bankass. Les victimes sont principalement des Peuls ciblés par des «groupes d’autodéfense» des ethnies dogon et bambara. Le gouvernement malien a annoncé dimanche la dissolution d’un groupe de chasseurs traditionnels dogons accusé d’exactions et le limogeage des principaux chefs de l’armée, une première réaction après des années de laisser-faire coupable, selon Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel et chercheur à l’université de Kent.
L’ONU avait recensé 500 victimes des conflits entre Peuls d’un côté et Dogons ou Bambaras de l’autre, les premiers étant visés par des milices au motif qu’ils soutiendraient ou auraient été recrutés par des islamistes armés pour la plupart en lien avec Al-Qaeda. Que vous inspire cette nouvelle escalade terriblement meurtrière ?
L’alerte la plus inquiétante remonte à début janvier, avec, déjà, un massacre de Peuls d’une ampleur jamais vu. On pensait que cela ouvrirait les yeux des autorités, il n’en a rien été. Cette nouvelle étape dans l’escalade pousse à utiliser un vocabulaire qu’on hésitait à employer : le nettoyage ethnique. Ce qu’on a vu samedi est un pogrom et rien d’autre. On ne peut pas dire que cela se produit au hasard dans une localité isolée et sous les feux des radars. Là, les autorités maliennes étaient prévenues que quelque chose se tramait et elles ne sont pas intervenues. Cette ambiguïté est scandaleuse autour des relations entre l’armée régulière et les milices à l’origine des massacres de samedi, qui font parfois patrouille commune.
Le gouvernement malien n’a pas honoré les promesses faites début 2018 de mener des enquêtes pénales relatives aux allégations de crimes graves, de protéger les communautés vulnérables contre la violence communautaire et de désarmer les groupes d’autodéfense auteurs d’abus…
Ce n’est pas par défaut d’information que les autorités ne font rien. Le Premier ministre s’est rendu sur place en octobre pour célébrer un accord qui venait d’être signés entre des représentants des différentes communautés. Un travail de microdiplomatie s’était engagé, quitte à fermer les yeux sur les exactions passées… Le problème, c’est que l’on a affaire à des groupes éclatés au commandement tout sauf vertical.
Comment briser ce cercle vicieux dans lequel des groupes d’autodéfense bambaras et dogons utilisent aussi la lutte contre les islamistes armés comme un prétexte pour expulser les Peuls des terres fertiles et prendre part à des actes de banditisme ? En retour, ces violences poussent des Peuls à rejoindre des groupes islamistes armés…
Les exactions sont des deux côtés, et il est vain de dire qui a commencé. Cela souligne surtout la faiblesse et la démission de l’Etat qui est incapable de mobiliser des ressources impartiales pour résoudre un problème aux multiples dimensions : économique, politique, ethnique, le tout enrobé de dangereux discours mystiques. Il y a un substrat de matériel audio qui circule dans les réseaux sociaux, notamment Facebook et WhatsApp, dans lesquels on voit des images de chasseurs dozos paradant avec des têtes décapitées de pseudos terroristes. Un sentiment d’impunité s’est installé car l’Etat n’a jamais déclenché aucune poursuite contre les auteurs de telles vidéos.
L’accès facile aux armes à feu, y compris aux armes d’assaut militaires, a-t-il contribué au développement et à la militarisation des groupes d’autodéfense ? Et que peut faire la France, le G5 Sahel ou l’ONU, présents sur place ?
Les moyens de s’entretuer ont augmenté sur fond de lutte contre le jihadisme, où l’instrumentalisation des communautés joue à plein. La France n’a pas à se mêler d’un conflit interne au Mali et s’interposer entre les belligérants dans des villages. Le G5 Sahel, c’est un peu différent : des forces pourraient se mobiliser mais il n’est toujours pas opérationnel. Quant à l’ONU, elle a toutes les infos, elle connaît la situation, évacue les blessés, enquête avec son département droit de l’homme. Reste le gouvernement…
Libération/AFP
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