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La monnaie mobile en Côte d’Ivoire: un secteur freiné par l’État

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En application de l’annexe fiscale à la loi n°2018-984 du 28 décembre 2018 portant budget de l’Etat pour l’année 2019, le gouvernement ivoirien a décidé d’augmenter de 7,2 % la taxation des transactions monétaires via la téléphonie mobile. Cette hausse comprend: la taxe des télécommunications (5% du chiffre d’affaires hors taxe), la taxe sur le développement des NTIC (2%) et la taxe sur le soutien à la création artistique (0,2%). Même si les entreprises de monnaie mobile subissent déjà des taxes spécifiques aux sociétés de téléphonie mobile, la Direction Générale des Impôts les justifient par le fait que le transfert d’argent requiert toujours le téléphone mobile, sans oublier que cela contribue à renflouer les caisses de l’Etat censé en faire un bon usage. Qu’en est-il réellement ?

Une décision inéquitable et injustifiée

D’abord, cette décision viole l’équité fiscale. En effet, les entreprises de monnaie mobile font désormais partie du secteur financier conformément à la réglementation de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Alors pourquoi leur appliquer les impôts et taxes du secteur des télécommunications et non ceux du secteur financier ? Par ailleurs, les opérations de monnaie mobile sont faites par deux catégories d’entreprises. Il y a d’un côté des entreprises liées aux sociétés de téléphonie mobile et de l’autre côté celles qui en sont indépendantes. En taxant ces dernières comme les premières, sans aucune distinction, le gouvernement crée de l’iniquité fiscale, car leurs transactions ne peuvent pas être assimilées à celles de la téléphonie mobile. Ainsi, le fonctionnement du marché se trouve faussé. Au final, la vraie raison poussant l’Etat à taxer les entreprises de monnaie mobile est que la traçabilité des opérations dans le secteur de Télécom et ses dérivés est en général facile, ce qui est une aubaine pour le gouvernement désireux de financer les déficits résultat de leur incompétence et gabegie.

Une mesure aux effets négatifs importants

Cette hausse des taxes pourrait avoir un effet négatif sur les recettes fiscales. En effet, les activités de monnaie mobile sont en pleine expansion. En 2018 les transactions journalières étaient estimées à 17 milliards de FCFA. Avec ces nouvelles taxes, le gouvernement cherche à obtenir sa part du gâteau d’un secteur en pleine expansion. Mais cette mesure pourrait ne pas atteindre les résultats escomptés car elle risque de décourager les utilisateurs. En effet, la taxation du mobile money réduit l’avantage qu’il a sur les modes classiques de transfert d’argent comme Moneygram ou Western Union. Le service n’étant plus rentable, il s’en suivra une réduction de son usage. In fine, la base d’imposition et l’assiette fiscale s’amenuiseront. Cela aboutira à la baisse des recettes attendues par le gouvernement. Ce n’est pas la multiplication des impôts et taxes qui améliorera les performances fiscales de la Côte d’Ivoire. A titre d’illustration, bien que la Côte d’Ivoire disposait d’environ 63 types d’impôts et taxes  en 2018 elle a toujours du mal à collecter les impôts.

Une décision contraire à la dynamique d’inclusion financière

Ces taxes pourraient entraver l’inclusion financière des populations. Le taux de bancarisation en Côte d’Ivoire est faible. Depuis l’introduction de la monnaie mobile en Côte d’Ivoire en 2008, le taux de bancarisation est passé de 7,1% en 2007 à 19,7%  en 2016. La monnaie mobile semble avoir contribué à la progression de ce taux à travers son rôle d’éducation financière des populations et les solutions d’épargne ou d’assurance, de micro-crédits proposés en partenariat avec des banques ou assurances. Il est considéré aujourd’hui comme le meilleur moyen d’inclusion financière des pauvres, comme ça était le cas dans certains pays comme le Kenya (M-Pesa). Ce service est préféré à cause de sa simplicité et de ses coûts faibles. Ces différentes taxes vont contribuer à accroître le coût
et décourager les usagers. La Côte d’Ivoire prend ainsi le risque de décourager l’inclusion financière.

Un véritable frein à l’essor de ce secteur

Aussi, cette mesure engendrera des inconvénients pour les opérateurs et les investisseurs. Le développement rapide de ce service est dû à l’absence d’imposition à ses débuts. L’instauration de nouvelles taxes pourrait rendre le secteur moins rentable, décourager certains opérateurs et freiner son dynamisme. Cela aura un impact négatif sur la formalisation de l’économie. Le transfert d’argent via la téléphonie mobile permet de capter des transactions qui s’effectuaient auparavant dans l’informel. C’est un moyen pour sortir du secteur informel certaines activités économiques, car il assure la traçabilité des opérations. Ainsi, l’historique des transactions pourrait être utilisé par les entreprises de l’informel pour la demande de prêts auprès des banques. Une telle taxe pourrait décourager l’utilisation de ce service et par ricochet entretenir l’informel. Et qui dit informel dit moins de traçabilité et moins de recettes fiscales, exactement le contraire de l’objectif recherché.

Une source de hausse du coût de la vie

Enfin, étant donné que les entreprises intègrent les différentes taxes dans le calcul du prix final de leurs articles ou services, in fine, ce sont les consommateurs qui supporteront cette hausse de la taxe. Par conséquent, elle va contribuer à l’accroissement du coût de la vie et pénaliser la consommation domestique car 95% des transactions de la monnaie mobile consiste en un transfert d’argent entre proches afin de financer des dépenses personnelles.  Selon le classement « Mercer’s 2018 cost of living » Abidjan occupe le 6ème rang des villes les plus chères d’Afrique. Cette mesure semble aller contre l’ambition du gouvernement de lutter contre la cherté de la vie car au final cette mesure contribuera d’une manière ou d’une autre à accroitre le coût de la vie.

En définitive, la hausse des taxes sur les opérations de monnaie mobile visant l’accroissement des recettes fiscales de l’Etat pourrait être contre-productive au regard de ses nombreux effets pervers que l’on vient de développer. Pour plus de recettes fiscales, l’Etat devrait paradoxalement alléger la pression fiscale, car cela élargirait la base d’imposition et rendrait l’évasion fiscale moins rentable, surtout dans un secteur en expansion comme celui de la monnaie mobile.

G. KRAMO, analyste économiste.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique 

 

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