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Côte d’Ivoire : comment juguler la crise de l’anacarde ?

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Baisse drastique des prix, difficultés pour exporter les productions, tel est l’état actuel de la filière de l’anacarde en Côte d’Ivoire. Entre grogne des producteurs et grève des acheteurs, des voix s’élèvent pour solliciter l’intervention urgente de l’Etat, sous prétexte de contrer une mauvaise conjoncture (notamment dans l’augmentation du prix bord champ de l’anacarde). Et si le problème était plutôt structurel ? Et si l’Etat souhaité comme le porteur de solution, était à la base une partie du problème ?

Des raisons conjoncturelles ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette situation nait du concours de plusieurs circonstances. Au nombre de celles-ci, figure la stagnation de la demande. En effet, redoutant une rupture de l’offre de l’anacarde pouvant mettre à l’arrêt leurs usines, les industriels vietnamiens (premiers transformateurs d’anacarde) l’ont importé à un rythme effréné au cours de la campagne 2017 (hausse de 54% sur les 9 premiers mois de l’année 2017 en volume, comparée à 2016). Il s’en est suivi une envolée des prix (De 1500 dollars/tonne à 2000 dollars/tonne sur la même période) ainsi qu’une campagne 2018 entamée avec environ 200 000 tonnes d’anacarde inutilisées. Cette flambée des prix plus ou moins bien supportée par les Vietnamiens à cause du soutien du secteur bancaire via un système de prêts, l’était moins chez les Indiens qui ne jouissent pas de cette facilité. Cela a donc freiné la demande mondiale. C’est cet engrenage, conjugué au ralentissement de la croissance mondiale, ainsi que la mauvaise qualité de la récolte dû à un taux d’humidité élevé, qui non seulement ont provoqué la chute des prix mais aussi ont raréfié les débouchés pour la campagne 2019. C’est tout naturellement que les acheteurs qui avaient importé de janvier à novembre 2017 environs 435 000 tonnes chez les producteurs de Côte d’Ivoire, n’avaient pour le premier semestre de 2018 importé que 15193 tonnes et 34602 tonnes en 2019 sur la même période, soupçonnant que les restes du début de campagne qui avaient été conservés par les producteurs espérant une remontée des prix, aient été mélangés à la nouvelle production.

Un dirigisme étatique aux effets pervers

Si les causes conjoncturelles ont leur impact, il n’en demeure pas moins que le mal est plus profond. Qu’est ce qui explique que la production locale d’anacarde ne cessait d’augmenter alors que la demande ne suivait pas ? Entre 2017 et 2018, elle avait enregistré une hausse record de 50 000 tonnes et en 2019, elle était supposée atteindre la barre des 800 000 tonnes. C’est simplement le prix fixé par l’Etat, au-dessus du prix d’équilibre du marché qui a poussé plusieurs producteurs attirés par la rente, à aller jusqu’à changer de cultures pour profiter du boom de l’anacarde, d’où la surproduction. En tenant compte de la mauvaise qualité de la récolte évoquée plus haut, cette rigidité au niveau du prix au kilo la rend quasiment impossible l’ajustement de l’offre à la baisse afin de ramener l’équilibre du marché. Pour ne rien arranger aux choses, la fiscalité à l’exportation, peu adaptée aux contraintes du secteur, vient porter le coup fatal à toutes les bonnes intentions dont pourraient être animés ses acteurs. En effet, quand le Ghana (voisin de la Côte d’Ivoire), n’applique aucune taxe sur l’exportation de l’anacarde, la Côte d’Ivoire elle, est le pays qui taxe le plus ses exportations (le Droit Unique de Sortie est passé de 10 F / kilo à 89.25 f de 2017 à 2018). En tout, c’est jusqu’à 622 milliards de FCFA perçus par l’Etat en 2018 alors que les recettes des producteurs étaient estimées à 404 milliards sur la même période. Un manque de compétitivité qui a des répercussions graves. Profitant ainsi des failles du système voisin (taxes inadaptées et système industriel incapable de transformer l’anacarde en grande quantité) le Ghana a exporté pratiquement sur ces dernières années le double des 70 000 tonnes qu’il produit en moyenne.

Comment
sortir de l’impasse ?

De janvier à février 2018, le Vietnam a empoché près de 600 millions de dollars pour 54 000 tonnes d’anacarde transformées. Alors que le record de bénéfice empoché par la Côte d’Ivoire lors d’une campagne est de 800 millions de dollars. Ainsi, la transformation est plus rentable que l’exportation de l’anacarde brute. Mais si le Vietnam y arrive, c’est grâce à un système de prêts bancaires qui boostent l’investissement privé dans ce secteur. En Côte d’Ivoire, les banques sont moins enclines à accompagner les acteurs du secteur bien qu’il soit dynamique parce que la terre appartient à l’Etat et que de facto, les investissements qui y sont faits ne sont pas tout à fait sécurisés. Il faut donc une réforme foncière qui rendra le droit de propriété individuel accessible à tous et booster l’investissement privé. Deuxièmement, il faut une libéralisation de la filière de l’anacarde, ce qui implique la levée de toutes les barrières à l’entrée, notamment fiscales et réglementaires, pour inciter au développement de la transformation. La concurrence sera à même d’inciter aussi à l’amélioration de la qualité du produit. Parallèlement, l’existence d’une autorité indépendante de régulation est primordiale afin de prévenir les pratiques abusives. Cette libéralisation passe également par la suppression des redevances et autres reversements (Droit d’enregistrement, CCA, CCA/Fonds de soutien, CCA/soutien structuration etc.) qui en plus de rendre la Côte d’Ivoire moins compétitive, ne joue pas le rôle « d’aide à la stabilisation » que l’Etat leur prête. Mais cette libéralisation ne pourrait s’effectuer qu’en respectant la loi naturelle de l’offre et  de la demande en abolissant le contrôle des prix. Ces derniers sont des signaux d’information vitaux pour aider à rationaliser les décisions aussi bien des acheteurs que des producteurs.

Face à la mauvaise conjoncture frappant de plein fouet la filière de l’anacarde, les mesurettes d’ajustement prévues par le gouvernement sont bien insuffisantes pour faire oublier les distorsions du système encadrant la filière. Le dirigisme étatique pratiqué jusque là a montré ses limites, et il est temps de changer de cap, dans le sens de réformer les règles du jeu, afin de pouvoir rompre avec l’exportation de matière brute et aller vers la création de valeur ajoutée.

ESSIS Césaire Régis, Activiste-Citoyen

Article publié en collabAjouteroration avec Libre Afrique.

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