Dans sa politique de décentralisation, le Président ivoirien, Alassane Ouattara ambitionnait de faire des régions du pays des pôles économiques et de développement. Cette politique devrait contribuer à réduire les inégalités régionales. Cependant, à quatorze mois de la fin de son second mandat, force est de constater que sa politique de développement local a échoué et les inégalités régionales demeurent une réalité. Le sud et sud-ouest sont développés avec plus d’infrastructures contrairement au nord et l’est du pays. Comment le jeu politique exacerbe les inégalités régionales dans le pays ?
Une allocation budgétaire politisée
Pour le développement des régions, le gouvernement intervient d’une part directement à travers les investissements publics, les programmes nationaux d’infrastructures, et les transferts de l’administration centrale vers les collectivités locales. Ainsi, dans un contexte de ressources étatiques rares, l’allocation du budget entre les différentes régions ne se fait pas en fonction des besoins et d’une justice spatiale, mais plutôt sur la base d’une logique politicienne. Les régions susceptibles de faire gagner les élections sont les mieux servies, ce qui creuse les inégalités régionales. De même, les transferts sociaux, comme le projet d’octroyer des allocations monétaires directes de l’ordre de 144 000 FCFA/an au profit de ménages pauvres depuis 2012 a touché 50 000 ménages bénéficiaires repartis entre 882 villages des régions des zones Centres, Nord et Ouest en ignorant les autres régions.
Marchandage et chantage des élus locaux
Le développement régional est marchandé par le gouvernement à travers des campagnes d’hommage à Ouattara pour des réalisations de l’Etat. Dans cette veine, au cours d’un meeting lors des élections d’octobre 2018, la ministre Candia Camara a affirmé que les élus locaux qui ne seraient pas issus du camp présidentiel ne recevraient pas l’appui étatique pour le développement de leur région. Aussi, pour élire les conseillers régionaux/municipaux, les politiques dépensent beaucoup d’argent dans la campagne électorale, le convoyage des électeurs dans les régions et l’achat des votes. Les grands partis politiques apportent un soutien financier aux candidats/candidates qu’ils parrainent. Mais la plupart du temps, ce soutien est insuffisant et les candidats/candidates doivent financer de leurs poches ou chercher eux-mêmes des appuis financiers. Selon un candidat malheureux dans la commune de Yopougon, la campagne dans cette commune coûte au moins 100 millions de francs CFA. Les candidats/candidates s’endettent lourdement pour assurer toutes les dépenses nécessaires pour leurs victoires. Ils sortent ruinés des campagnes électorales. Quand ils sont élus, ils se font rembourser les fonds de la campagne en se servant dans le budget communal ou régional. Ces pratiques retardent le développement de certaines régions et renforcent les inégalités régionales.
Une décentralisation détournée
La politique de décentralisation est marquée par l’absence d’une réelle volonté politique de favoriser le développement local. Dans ce sens, toutes les ressources étatiques sont concentrées dans les mains du gouvernement pour organiser une redistribution vers la base. L’appui financier de l’Etat aux collectivités territoriales (2 districts autonomes, 31 régions et 201 communes) pour la gestion 2019, est prévu à hauteur de 235,94 milliards comprenant 159,44 milliards au titre des recettes affectées pour la quote-part d’impôts partagés et 76,54 milliards au titre des dotations transférées du budget de l’Etat aux collectivités. Par conséquent, l’appui de l’Etat demeure insuffisant. Cela renforce la dépendance des régions au gouvernement qui en profite pour satisfaire ses propres intérêts politiques et entretenir les viviers électoraux au détriment du développement régional.
Dans ce sens, le Président multiplie les infrastructures dans les régions qui
ont massivement voté pour lui. Ainsi, il a consacré les infrastructures à la capitale économique pour ses intérêts politiques et dans les régions des peuples baoulés (centre du pays), à travers le prolongement de l’autoroute jusqu’à Yamoussoukro, bastion du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) grâce à qui il a été élu au 2ème tour en 2010 et réélu en 2015. Cependant, la voie reliant San-Pedro (2ème port du pays au sud-ouest) à Abidjan communément appelée « la côtière » est totalement impraticable depuis des années. Depuis 2016, le gouvernement a annoncé y construire une autoroute qui se fait attendre.
Par ailleurs, le gouvernement crée également une inégale d’allocation des ressources humaines entre les administrations et des collectivités territoriales. Ainsi, les fonctionnaires ayant les faveurs du régime sont affectés dans le sud tandis que les récalcitrants sont envoyés dans les zones difficiles du nord. Le secrétaire exécutif du PDCI, chargé des élections, Adiko Roland, a récemment dénoncé le déséquilibre dans le découpage administratif. En prenant en compte le nombre d’électeurs par mairie et par zone, Roland Adiko a relevé que le Sud dispose de 28 mairies pour 2 014 762 électeurs pendant que le Nord en a 69 avec que 467 044 électeurs. Le Centre lui, a 29 mairies avec 559 616 électeurs. L’Est en a 23 avec 314 454 électeurs, l’Ouest, 34 avec 699 735 électeurs et l’Ouest montagneux 17 mairies pour 266 226 électeurs.
Une autonomie régionale pour moins d’inégalités
La politique actuelle de décentralisation où l’État délègue des prérogatives aux régions semble jusque-là ne pas porter ses fruits. Il faudrait changer de paradigme. Pour ce faire, il faudrait opter pour une vraie décentralisation permettant à chaque échelon des collectivités décentralisées de faire pleinement ce qu’elles peuvent faire pour leur développement et renvoyer le reste à l’échelon supérieur jusqu’à l’administration centrale. Dans la même veine, l’autonomie juridique devrait s’accompagner d’une autonomie financière, celle de collecter et affecter les impôts sur leurs territoires. De cette manière, les populations locales à travers les communes et les régions auraient totalement en main le développement local. Pour prévenir la magouille, la transparence devrait être le fer de lance en permettant aux citoyens de faire le suivi et le contrôle de la gestion de leur région. De plus, ils pourraient bien s’organiser pour une reddition des comptes de la gestion locale. Cela favoriserait la bonne gouvernance, ce qui réduirait par là même la dépendance des régions à l’égard des politiciens.
Les inégalités régionales révèlent que les politiques ont un agenda caché. La marchandisation politique et l’opportunisme politique des élus locaux sont les ennemis de la justice spatiale. Dès lors, il est opportun de ne plus voir dans les politiques les chevaliers qui feront régner la justice. Au contraire, la réduction des inégalités territoriales commence par celle de leur pouvoir de nuisance.
Safiatou Ouattara, chercheure ivoirienne.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.
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