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Lettre ouverte aux Guinéens (Nyué Kélèfa KEITA)

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Chers compatriotes,

La Guinée indépendante à peine née, la pratique de ses premiers dirigeants a inspiré le poème satirique suivant à notre historien Niane Djibril Tamsir :

« Camarade, je ne comprends pas.

Moi, j’ai dit non.

Toi aussi.

Et le méchant colon est parti.

Liberté est venue à sa place

Escortée par Démocratie.

Responsabilité suivait d’un pas grave.

Moi, j’ai dit non.

Toi aussi.

Richesse est venue en cachette

Et dans ta gibecière s’est logée.

Près de moi resta Pauvreté.

S’accordant sur Dignité.

Et pourtant j’avais bien dit NON.

Toi aussi d’ailleurs. »

Le « complot des enseignants » (1961) allait marquer le début de la chute aux enfers du peuple de Guinée. Je ne vais pas faire l’histoire des étapes qui nous ont menés dans l’impasse où nous nous trouvons aujourd’hui. Cependant quels facteurs pourraient expliquer qu’avec un départ rayonnant/flamboyant la Guinée indépendante se trouve dans la situation actuelle? Il y en a certainement beaucoup plus, mais pour ma part j’en vois essentiellement trois :

(1) – L’enthousiasme de l’indépendance a facilité l’adoption du système du parti unique, ce qui est la négation même de la démocratie. Les concurrents du PDG-RDA, BAG et PS, se sont ralliés à ce dernier par patriotisme. Cette recherche du consensus a aussi permis d’occulter la question ethnique qui a été cependant omniprésente dans la lutte politique entre les partis sous la colonisation.

(2) – Les premiers leaders du pays ont été à l’école d’organisations staliniennes françaises. Le système du Parti unique a donc été du pain béni pour eux, il ne leur restait plus qu’à appliquer les recettes du stalinisme pour conserver le pouvoir

(3) – Le colonialisme tant décrié a profondément déteint sur toute la classe politique. On a copié la forme de l’Etat français, surtout la 5ème République avec son Président-Roi. Les français ont guillotiné un roi pour créer leur première République. Celle-ci fut suivie par des infidélités avec l’Empire, la Royauté. Revenant à la République ils ont donné à l’État un Président doté d’un pouvoir quasi-royal en se réservant la possibilité de le « guillotiner » dans les urnes. Ce système ne peut convenir à la Guinée car nous n’en avons pas l’histoire et la culture.

Alors comment sortir de l’impasse ?

Avec l’effervescence actuelle autour de la modification de la constitution, en se posant les bonnes questions, une opportunité s’ouvre pour une transformation fondamentale du pouvoir et de sa gestion en Guinée.

Et si NOUS CHANGIONS REELLEMENT de CONSTITUTION et de REPUBLIQUE ?!

Et si NOUS ABOLISSIONS la fonction de PRESIDENT de la République ?!

Ma proposition est de s’inspirer du modèle SUISSE !

Faire de la Guinée un État Fédéral sur le modèle SUISSE !

Pour ceux qui ne connaîtraient pas le modèle suisse, sans juridisme, ci-après quelques repères dans cette construction de notre nouvelle Constitution, et de notre nouvelle République. Pour des raisons de simplification je puiserai dans la nomenclature suisse et française.

(1) L’entité territoriale nommée « Le Canton» ou « La Province » est la brique de la construction de la Fédération. Chaque préfecture actuelle formerait un Canton, avec son exécutif local, son législatif local, et ses prérogatives. C’est à ce niveau déjà que les constitutionnalistes guinéens devront faire preuve d’
imagination. Il faut mettre à la portée du citoyen les institutions pour qu’il s’intéresse à la chose publique.

(2) « L’Etat Central/fédéral ». Il est la fédération des Cantons.

  1. Le législatif est constitué par un parlement fédéral comprenant deux chambres : un Sénat et une Assemblée nationale. Le Sénat est la chambre des Cantons. Tous les Cantons ont le même poids, p.ex. deux Sénateurs par Canton quelque soit la population du Canton. L’Assemblée nationale est l’émanation directe des citoyens. Ses membres, les députés, sont élus à la proportionnelle intégrale. C’est-à-dire que tous les députés auront le même poids en citoyens
  1. L’exécutif fédéral est assuré par un collège de ministres de même rang.

Chaque ministre est individuellement élu par le Congrès (Sénateurs + Députés). Il n’y a pas de Président sauf que le collège des ministres choisit un de ses membres pour les représenter, pour une courte période par exemple un an, dans les cérémonies protocolaires, e.g. réception d’un chef d’état étranger.

Pour faire que cette structure mène à un État fort les ingrédients suivants sont indispensables.

(3) Une répartition équilibrée des tâches entre les Cantons et l’État Fédéral en favorisant une décentralisation la plus large possible.

(4) Les piliers de la nouvelle constitution/république seront la « Démocratie directe » et la « Décentralisation ». Les citoyens ont le droit d’initiative, c’est-à-dire que sous conditions ils peuvent demander une consultation/vote populaire locale/fédérale sur tout sujet d’intérêt général local/fédéral. Avec ce droit les citoyens ont la possibilité de corriger le travail du parlement et/ou du gouvernement ! Pour cela il faut rapprocher le citoyen du centre de décision, pour qu’il puisse exercer son droit d’initiative de façon éclairée.

(5) Je verrai bien dans la constitution une condamnation ferme de la fraude électorale, qui est un crime contre la Démocratie

(6) La recherche du consensus, par la protection du faible et de la minorité, doit être encouragée. A la place du couperet « 50%+1 voix », seront favorisées des approches comme l’usage de la « majorité qualifiée », la « minorité de blocage », la « double majorité », etc.

(7) La constitution contiendra un article spécial consacré à la corruption

  1. La corruption sera imprescriptible
  2. La corruption sera combattue par tous les moyens : récompense au dénonciateur, au lanceur d’alerte, etc. (modèle Sud-Coréen !)

Mon but est d’ouvrir un débat. Je ne prétends pas inventer la roue en politique. Je crois que le modèle suisse corrige plusieurs tares de la construction de la Guinée actuelle :

– le modèle suisse permet de créer un État fort à la place d’un Président omnipotent

– le poste de Président, pour lequel certains tuent et d’autres envoient se faire tuer de pauvres citoyens, perd de son attrait comme centre d’enrichissement personnel. Abolissons, « guillotinons » la fonction de Président !

– le fédéralisme apaise le problème ethnique qui ne pourra plus constituer le fonds de commerce de la classe politique.

Certains sont descendus manifester dans la rue pour le maintien de la constitution actuelle, d’autres pour une modification. La seule motivation des initiateurs de toutes ces manifestations est la « conquête du graal » que constitue la fonction de Président de la République ! Pour promouvoir la paix sociale, je le répète « abolissons, guillotinons la fonction de Président » !

Notre devise « Travail, Justice, Solidarité » est belle, mais elle est restée un slogan depuis le jour de la rédaction de notre première Constitution. Donc pourquoi ne pas commencer un débat concernant la construction d’une toute Nouvelle
République en nous inspirant de notre histoire et de celle des autres?

Je vous propose une voie pour sortir de l’impasse actuelle ! Peut être qu’il en existe d’autres.

Sans personnalisation, sans stigmatisation, sans invectives, sans a priori, en ayant comme seul guide l’intérêt des guinéens, ouvrons nous au débat pour une GUINEE en paix pour des GUINEENS heureux.

Novembre 2019

Nyué Kélèfa KEITA

Kouroussa-Place du Marché

République de Guinée

lanouvellerepubliquedeguinee@gmail.com

fb.me/nouvellerepubliquedeguinee

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