Le 24 décembre 2019, un projet de loi portant création d’un code général des collectivités régionales et locales au Cameroun a été promulgué par le président Paul Biya, président du Cameroun. Une nouvelle loi sur la décentralisation tant attendue après la crise des régions anglophones qui réclament une plus grande autonomie, voire même une scission. Si cette loi a repris certaines résolutions phares du « grand dialogue national » (statut spécial, disparition des délégués de gouvernement, etc.), peut-on pour autant considérer que le gouvernement Biya a répondu aux aspirations des Camerounais anglophones?
Une autonomie en trompe-l’œil ?
Si la nouvelle loi sur la décentralisation semble répondre à bon nombre des recommandations du Dialogue national et constitue une avancée positive, elle comporte plusieurs limites. Concrètement, la nouvelle loi a tenu compte de nombreuses revendications portées par les régions anglophones, en particulier dans la section 3 et les articles 327 à 370. Le statut spécial prévoit dans son article 330 une assemblée régionale et un conseil exécutif régional. L’Assemblée régionale est l’organe délibérant des régions du nord-ouest et du sud-ouest. Il est composé de 90 conseillers régionaux. Il est composé d’une Chambre des représentants divisionnaires et d’une Chambre des chefs. Selon l’article 328, le régime de statut spécial peut permettre aux régions anglophones de participer à la formulation des politiques nationales relatives au sous-système éducatif anglophone, de décider des projets de développement dans la région et des problèmes des chefferies. Cependant, l’utilisation de «peut» au lieu de «doit» à l’article 328 prive les citoyens des deux régions anglophones du droit de participer à la prise de décisions sur des questions d’importance fondamentale pour leur existence.
Par ailleurs, de nombreux Camerounais estiment que, dans l’ensemble, la loi qui comprend 501 sections en 142 pages, laisse encore les régions et les conseils régionaux dans un état de dépendance considérable vis-à-vis du gouvernement central et, en grande partie, rend l’«autonomie» affichée un simple effet d’annonce. Convaincu que le gouvernement central reste intransigeant dans sa quête de domination et de contrôle des ressources, en particulier de la région du Sud-Ouest, particulièrement riche en ressources naturelles, ils soulignent que de nombreux aspects ont été exclus de la loi pour une nouvelle législation et que de tels pouvoirs ne devraient pas rester entre les mains de l’exécutif du gouvernemental.
Des mesures d’accompagnement insuffisantes
La nouvelle loi tient compte de l’héritage linguistique et des particularités liées aux systèmes éducatif et judiciaire d’inspiration anglo-saxonne avec notamment le « common law ». Elle préconise au bénéfice de ces régions une dotation financière spéciale, une fiscalité avantageuse, des organes spéciaux pour la gestion de ces deux régions ou encore un médiateur pour régler ou résoudre certains problèmes. Ceci dit, ces mesures sont largement discutables. A ce propos, l’introduction d’un médiateur, autrement appelé conciliateur public indépendant, dans les articles 367 à 371, est une innovation bienvenue qui mérite d’être saluée. Cependant, sa nomination ne devrait pas dépendre des propositions du représentant de l’État et du président du conseil régional (article 368), car la plupart des plaintes des citoyens sont susceptibles d’être dirigées contre ces deux fonctionnaires.
Concernant l’autonomie financière, une formule d’allocation rationnelle et équitable des revenus aux régions devrait être précisée dans la loi. Les régions devraient recevoir des redevances pour l’exploitation des ressources naturelles de leurs régions. La gestion des terres est fondamentale, ce qui nécessite la prise de dispositions concrètes pour lutter contre l’accaparement des terres par les administrateurs et les maires par exemple.
nCertains analystes, en particulier des membres du principal parti d’opposition, le Front social-démocrate, pensent que l’implication du représentant de l’État dans les affaires de la région n’est pas la bienvenue. Certes, mais il faut prévoir des mécanismes de contrôle et de sanction pour les maires sans scrupules, dont la plupart ne souhaite que s’enrichir aux dépens des gens.
Une ethnicisation nocive à la démocratie via « l’autochtonie » des maires
Une autre innovation importante de la loi est l’éradication du poste de délégué gouvernemental désigné qui sera désormais remplacé par un super maire élu du conseil municipal. Un tel maire sera élu parmi ses pairs des conseils de la région concernée. Il s’agit en effet d’une avancée positive dans le processus de décentralisation car cela garantira une certaine autonomie qu’auparavant. Les délégués du gouvernement étaient responsables devant le gouvernement qui les avait nommés, mais désormais le maire élu sera responsable devant son électorat. Malgré cette évolution positive, la nouvelle loi a créé la polémique en imposant comme condition d’éligibilité l’obligation d’être autochtone de la région. Ainsi, cette disposition remet en cause le critère de méritocratie et de compétence au profit de l’identité ethnique et l’allégeance tribale et de graduation à la citoyenneté. Le risque de repli identitaire ethnico-tribal s’en trouve amplifié, ce qui arrange quelques parts le pouvoir central qui a l’habitude d’instrumentaliser justement ces ressorts ethniques et tribaux afin de garder son emprise sur le pays.
Somme toute, la nouvelle loi sur la décentralisation ne peut être considérée que comme un premier pas afin de désamorcer la crise des régions anglophones. D’où la nécessité de rectifier le tir dans les années à venir afin que ces régions puissent profiter d’une véritable autonomie législative et financière. Il s’agit d’enclencher un processus vers un nouveau fédéralisme plus équitable et plus constructif susceptible de préserver l’intégrité territoriale du pays tout en libérant les forces locales.
Alain Chatou, analyste pour Libre Afrique.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.
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