Après quatre mois de blocage, la Cédéao a tranché. Ce jeudi 23 avril, lors d’une visioconférence, les quinze chefs d’État d’Afrique de l’Ouest ont décidé de reconnaître Umaro Sissoco Embalo comme nouveau président de la Guinée Bissau. L’Ivoirien Jean-Claude Brou préside la commission de la Cédéao. En ligne d’Abuja, il s’exprime aussi sur deux autres crises, celles du Togo et de la Guinée Conakry.
RFI : En Guinée-Bissau, vous venez de reconnaître Umaro Sissoco Embalo comme le président, alors que la Cour suprême de Bissau n’a toujours pas statué sur les recours introduits par son adversaire, Domingos Simoes Pereira. Est-ce à dire qu’Umaro Sissoco Embalo a gagné à l’usure ?
Jean-Claude Brou : Sur la Guinée-Bissau, les résultats provisoires ont été proclamés par la commission électorale indépendante début janvier. Et nous avons assisté à une incompréhension entre la Cour suprême et la Commission nationale électorale [CNE]. La Commission nationale électorale a proclamé à trois reprises les résultats définitifs. Et la deuxième fois, c’est là justement que le comité ministériel de gestion de la crise de la Cédéao s’est rendu à Bissau et a demandé à la Commission nationale électorale de faire la vérification de la compilation des résultats au niveau des régions, comme la Cour suprême le demandait. La Commission nationale électorale estimait qu’elle avait fait ce travail, mais nous lui avons demandé expressément de le faire puisque la Cour suprême insistait. En plus, nous avons demandé que cela soit fait sous notre égide, que nous puissions assister et suivre cette vérification. Et cela a été fait. Et le résultat est revenu identique. Donc, il était clair que les résultats proclamés par la CNE étaient valides. Et monsieur Sissoko était ce [jeudi] matin à la conférence extraordinaire des chefs d’Etat, et donc il a été félicité par ses pairs qui lui ont souhaité donc un succès à long terme.
Alors il y a le problème du Parlement qui est à majorité PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert), donc proche de l’adversaire de Sissoko Emballo. Est-ce que le futur Premier ministre sera PAIGC comme le veut la Constitution, ou est-ce qu’il restera un proche de Sissoko Emballo, comme c’est le cas actuellement ?
Alors là, ce que les chefs d’Etat ont décidé, c’est que la nomination du Premier ministre et la formation du gouvernement respectent les dispositions constitutionnelles. Et [pour] ça, ils ont donné jusqu’au 22 mai pour que cette disposition en matière de nomination du Premier ministre et de formation du gouvernement soit mise en œuvre parce que sans stabilité, le développement économique et social ne peut pas se faire.
Au Togo, après la présidentielle du 22 février gagnée officiellement par Faure Gnassingbé, l’opposant Agbéyomé Kodjo s’est proclamé président. Du coup, le procureur l’a poursuivi pour « atteintes à la sécurité intérieure de l’État ». Et ce mardi 21 avril, Agbéyomé Kodjo a été arrêté par les forces de l’ordre. Quelle est votre réaction ?
On suit un petit peu l’évolution, il y a des lois et des règles internes dans chaque pays. Ce que nous savons, c’est qu’il y a eu des élections. Les
résultats ont été proclamés par la Cour constitutionnelle. Et donc, il y a eu une action visant à lever l’immunité parlementaire, compte tenu de certains actes qui ont été posés. Et donc cette immunité a été levée. Mais comme je dis, les pays ont leurs lois internes. Vous dites que cela vient d’arriver, je ne peux pas porter vraiment un jugement actuellement là-dessus.
Oui, mais depuis deux ans, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) avait tenté une médiation entre le pouvoir et l’opposition pour réviser le fichier électoral et la composition de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), afin que la présidentielle de février dernier se passe dans les meilleures conditions possibles. Or l’opposition togolaise vous accuse de l’avoir lâchée…
Je pense qu’il faut retourner quand même un peu en arrière. Lorsque la situation s’est fortement dégradée au Togo en 2018-2019, la Conférence des chefs d’État [en avril 2018] a nommé deux médiateurs : le président du Ghana, Nana Akufo-Addo, et le président de la République de Guinée, le professeur Alpha Condé. Cette médiation a conduit à des réformes constitutionnelles, à des réformes au niveau de la Céni et a permis de pouvoir faire des élections législatives il y a à peu près un an [le 20 décembre 2018]. Et lors de ces législatives, nous avons audité le fichier électoral pour nous assurer que ce fichier effectivement était un fichier qui soit crédible et sans difficultés. C’est ce que nous avons fait lors des élections législatives. Malheureusement, l’opposition, pour des raisons qui lui sont propres, a décidé de ne pas participer aux élections législatives. Et pour l’élection présidentielle [du 22 février 2020], nous avons, comme on le fait un peu partout, accompagné au plan technique la Céni et nous avons envoyé une mission d’observation. Et je crois que les résultats, avec les autres missions d’observation d’ailleurs, ont été que les élections se sont passées de manière normale. Donc, sur ce point-là, nous avons au niveau de la Cédéao fait les accompagnements conformément aux orientations qui ont été données par les chefs d’État.
En Guinée-Conakry, vos observateurs et ceux de la Francophonie ont identifié quelque deux millions et demi d’électeurs fantômes avant le double scrutin du 22 mars dernier. A la suite de ces législatives et de ce référendum, il y a eu des réactions très contrastées. Ce double scrutin a été jugé crédible par les uns, non crédible par les autres. Quelle est votre réaction ?
Nous n’avons pas de réaction puisque nous n’avons pas envoyé de mission d’observation pour les élections. Nous avions dit que nous pensions qu’il fallait un dialogue politique, que les élections soient inclusives, en plus de la question du fichier. Pour toutes ces raisons, la Cédéao n’a pas envoyé de mission d’observation de ces élections.
Mais au final, ces résultats, vous les jugez crédibles ou pas ?
Je ne peux pas juger quelque chose que je n’ai pas observé.
RFI
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