Lundi 27 Juillet 2020. Comme annoncé il y a quelques jours, à l’issue de la médiation menée par cinq chefs d’État au Mali, un sommet extraordinaire de la CEDEAO se tient, par visioconférence, ce jour. La situation politique préoccupante et les menaces d’ordre sécuritaire qui minent la cohésion sociale et l’unité du peuple malien sont au centre des discussions. L’heure est grave et le temps compté.
En attendant de revenir sur les enjeux de ce conclave et sur les décisions importantes qui en seront issues, jetons un regard sur l’évolution politique récente de trois pays, le Mali, la Guinée et la Côte d’Ivoire. Ils ont beaucoup de similitudes en partage. D’abord des frontières communes, mais aussi une trajectoire politique quasi identique alternant gouvernance démocratique et transition militaire, après la déposition ou le décès des pères de l’indépendance (Modibo Keita, Sékou Touré et Félix Houphouët-Boigny). Certes, sur le plan économique, ces États connaissent des fortunes diverses, du fait d’une conjoncture mondiale difficile, mais également de la mauvaise gouvernance, voire de l’absence d’une réelle volonté politique de sortir des schémas habituels de développement imposés par les institutions de Bretton Woods. Résultats : une croissance ou une embellie économiques en trompe l’œil, des populations laissées en rade et un avenir peu radieux pour de nombreux jeunes qui arrivent, chaque année, sur le marché du travail.
Certains observateurs ont exprimé leurs craintes de voir la médiation conduite par la CEDEAO au Mali échouer, faute de pouvoir imposer ses vues sur les différents protagonistes. « La situation est extrêmement grave et nécessite une analyse plus profonde, plus pointue, plutôt que de chercher des solutions superficielles », a prévenu l’Imam Mahmoud Dicko, figure emblématique du mouvement du 5 Juin (M5-RFP). Quelle sera, en définitive, la position finale de la CEDEAO sur la question, face à l’intransigeance de l’opposition malienne qui fait du départ du président IBK une condition sine qua non ? Surtout qu’elle peut invoquer, en dernier ressort, l’article 23 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, en son chapitre VIII (DES SANCTIONS EN CAS DE CHANGEMENT ANTICONSTITUTIONNEL DE GOUVERNEMENT), qui s’oppose à tout changement anticonstitutionnel de gouvernement, par le biais notamment de « tout putsch ou coup d’État contre un gouvernement démocratiquement élu » (premier point).
Cependant, pour être crédibles, les chefs d’État des pays membres de la CEDEAO doivent balayer devant leurs propres portes. Certains parmi eux ne manquent pas de fouler, à l’occasion, les décisions ou recommandations de certaines instances de l’instance régionale, comme la Cour de justice communautaire. « À quoi serviront les décisions de la Cour de justice de la CEDEAO ou de l’UEMOA, si nos institutions et nos États ne les honorent ou ne les appliquent pas eux-mêmes », avait souligné le défunt président de la Commission de la CEDEAO, Marcel de Souza, en mai 2017, à Abuja.
Il en est de même pour la question du 3è mandat qui suscite encore beaucoup de controverses. Ainsi, sur les cinq chefs d’État présents le 23 juillet dernier à Bamako, seuls deux avaient expressément indiqué qu’ils n’entendaient pas présenter leur candidature à une prochaine élection. Le premier, le Nigérien Mahamadou Issoufou, avait annoncé la couleur, dès le 2 avril 2017 : « Je confirme de manière irréversible que je ne vais pas modifier la constitution et que je ne briguerai pas un 3ème mandat ». Le second, Muhamadu Buhari (Nigeria), prit le même engagement, le 31 décembre 2019 : «Je me retire en 2023 et je ne prendrais part à aucune élection dans le futur».
«Un peuple ne peut se pilier aux caprices d’une minorité d’hommes qui foulent aux pieds les bases de la démocratie. Et les regarder faire serait une complicité de notre part», avait déclaré,
en janvier dernier, le président de la commission de la CEDEAO, l’ivoirien Jean Claude Kassi. Il mettait en garde les chefs d’État de l’espace communautaire qui auraient l’ambition de briguer un troisième mandat, les prévenant même que l‘instance sous régionale prendrait toutes ses responsabilités si un régime refuse de quitter le pouvoir après deux mandats.
Quelques jours avant cette déclaration, le 31 décembre 2019, le président Alassane Ouattara s’était prononcé sur la question en disant ceci : « Tout le monde pourra être candidat à l’élection présidentielle. Je viens d’avoir 78 ans et je ne compte exclure personne, y compris moi-même ». Avant d’annoncer, le 5 mars, devant les parlementaires de son parti, le RHDP, réunis en Congrès, qu’il ne sera pas candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2020. Rebelote. Le décès brutal du PM et candidat désigné du RHDP, Amadou Gon Coulibaly, il y a deux semaines, l’oblige à rebattre ses cartes. Franchira-t-il le Rubicon en se présentant (contre son gré ?) au prochain scrutin présidentiel ? Et surtout, quelles seront les conséquences d’un éventuel reniement dans son pays et dans la sous région ?
En Guinée, notamment, où le président Alpha Condé n’a pas encore clarifié le débat sur son avenir politique, en se contentant de dire, le 31 décembre dernier, que « seule la volonté du peuple sera la décision finale qui s’imposera à tous ». Malgré le référendum constitutionnel, tenu le 22 mars dernier – en même temps que les élections législatives – les lignes ont très peu bougé, le pouvoir surfant allègrement entre répression des manifestations de l’opposition regroupée autour du FNDC et gestion approximative de la pandémie de Covid-19. Le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), le parti du Pr Alpha Condé avait raflé plus des deux tiers des sièges (79 sièges sur 114), les 35 sièges restants à l’Assemblée nationale revenant à une vingtaine de partis n’ayant pas observé le boycott.
Une officialisation de la candidature d’Alpha Condé à la prochaine élection présidentielle ne devrait être entérinée que lors du congrès d’investiture du RPG à la fin de l’état d’urgence sanitaire (fin août – début septembre probablement). Mais le doute n’est plus permis quant à sa volonté de briguer un 3è mandat, en dépit de la position déjà exprimée par la CEDEAO. Avec l’adoption de toutes les lois organiques relatives à la nouvelle constitution, principalement la loi sur le Code électoral, celle sur le Conseil économique social, culturel et environnemental et la loi régissant la Haute Autorité de la Communication, le pouvoir impose à l’opposition le fait accompli. Vivement critiqué dans son propre pays, le président guinéen n’hésite pas déclarer ouvertement son soutien à IBK. « Ma solidarité est totale et entière à l’égard du président Ibrahima Boubacar Keita. Il aura toujours notre soutien et notre solidarité tant pour le respect de la constitution que pour la lutte pour l’intégrité du Mali, dira-t-il en marge de la visioconférence du comité Inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS), le 20 juillet 2020, à la veille du déplacement de ses pairs à Bamako.
L’évolution de la situation politique au Mali, en Guinée et en Côte d’Ivoire ne sera pas sans conséquences, immédiates ou à court terme, sur les pays voisins. Si un effondrement du Mali est à redouter, faute de compromis dynamique entre les protagonistes de la double crise politique et sécuritaire, et par ricochet un effet d’entrainement dans la sous région, la confirmation de la candidature des présidents Ouattara et Condé à un 3è mandat risque de réveiller les démons d’un passé récent. Face aux atermoiements des acteurs politiques et au blocage institutionnel facteur de surplace et de recul démocratique, il faut craindre le recours à une autre alternative. Car Lao Tseu nous l’enseigne : « Quand le peuple ne craint plus le pouvoir, c’est qu’il espère déjà un autre pouvoir ».
Bonne semaine à tous !
Karim DIAKHATÉ
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Directeur de Publication du magazine LE PANAFRICAIN
Coordonnateur de la Rédaction du magazine AFRIQUE DÉMOCRATIE
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