Grand frère, il y aura bientôt quarante jours que tu pris le chemin d’Allah et partis de ce monde des vivants pour le voyage sans retour, et dans un univers inconnu. Tu es maintenant dans la paix éternelle.
À toi nos salutations de la terre guinéenne que tu as aimée. Ce terroir, notamment du village de Baro près de Kankan, tu l’as chéri, dans sa diversité, et sans réserve. Tu l’as servi avec ardeur.
À présent, il nous incombe, à nous tes frères de l’université, de témoigner de tes services, et dans les salles de classes, et de conférences, et en tant qu’écrivain. Tu nous as montré le chemin de l’enseignement, de la dignité de la craie, de la plume, de l’encre, et du papier. En un mot, tu incarnais l’enseignant.
A l’instar de tes aïeux, fervents musulmans venus du Fouta Toro au Sénégal, n’kodo Djibril, toi aussi, tu incarnais la foi.
Grand frère, tu excellas à l’école, j’ai appris, ensuite à l’université, et à Bordeaux en particulier. Après le baccalauréat et la propédeutique, tu te passionnas pour l’histoire ancienne, et particulièrement pour Seneque, le philosophe et dramaturge romain du premier siècle; tu aimais ses épîtres (lettres) à sa mère et à un amis sur la brièveté et la splendeur de la vie humaine.
Néanmoins, tu n’as pas pu résister à l’appel de l’histoire africaine, alors mal connue. Frère, tu comptas parmi les premiers, comme Joseph Kizerbo, Boubou Hama , Amadou Hampate Ba et Cheikh Anta Diop.
Pour démontrer la dignité de l’Africain encore mal apprécié, tu t’attelais à travailler sur ton Diplôme
d’Etudes Supérieures après ta Licence; et tu t’epris de l’histoire médiévale de l’ Empire Mandingue que tu appelais familièrement “Mandé“, comme on le dit encore dans nos communautés qui se réclament de cette culture.
Cet État fascina longtemps les Arabes et les Méditerranéens par l’opulence de ses souverains, leurs richesses et leur sens de la justice et de la bonne gouvernance.
En effet, en tant que jeune des Tropiques, pourquoi ne pas étudier les successeurs de Soundiata Keita dont la richesse a affecté le cours de l’or sur le marché mondial pendant des décennies? L’histoire africaine, tu la compris vite, et l’enseignais avec compétence. Grand frère, tu comptas, grand frère parmi les premiers nationalistes et libérateurs intellectuels du monde noir.
Je fis, un peu tard, ta connaissance en 1972, à la grande conférence internationale sur la civilisation mandingue à Londres. Je me rappelle encore comment tu faisais objet d’écoute des érudits venus de France, d’ Allemagne, de Russie, d’Afrique et d’Amérique.
Tu brillas de savoir et d’éloquence dans ta présentation de Soundiata Keita, de son épopée, et de Soumaoro Kanté, son adversaire impitoyable, des vertus de Touraman et des autres preux de Soundiata dans un langage simple et limpide. Le président Léopold Sedar Senghor, homme de plume de renom, déclara à Londres l’origine mandingue de ses ancêtres, et apprécia ton style et ton savoir; et Il reconfirma ta position de Directeur de la fondation qui portait son nom. Tu brillais de prestige.
Aussi, quelques années plus tard, tu méritas le titre professeur honoraire à Washington et à Tokyo. Les griots du Mandé pouvaient alors célébrer tes “fassa, tes exploits” et tes éloges.
Et, pour aider les futures générations de chercheurs, tu te mis à la tâche pour le volume de l’histoire universelle de l’ UNESCO et aussi ton volume sur les Mandingue de l’ouest, œuvres d’érudition.
Ta bibliothèque, renommée et fournie, comportait de nombreux ouvrages, documents et recueils précieux et rares. Tout ce trésor intellectuel majestueux, hélas, fut consumé chez toi par les flammes à Dixinn-Conakry. Tu supportas l’épreuve en bon croyant.
Quelques années plus tard, ensemble, nous avons assisté, avec le Professeur Boubacar Barry de Dakar, aux ceremonies de la rénovation de l’élégante mosquée de Timbo. Avec plaisir, je notai comment à cette fête glorieuse en l’honneur de Karammo Ibrahima Sambegou-mo Timbo, tu démonteras une fois de plus ton érudition et ta fierté de fils de la Guinée.
Les familles Diallo, Thiam, Diop et Niane de Conakry, les érudits de Guinée et d’Afrique et le monde africain de la diaspora ont perdu en toi un grand fils et un grand frère . Nkodo, Djibril Tamsir, repose dans la paix.
Lansine Kaba, Ph. D.
Chicago, Illinois
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