Nommé porte-parole du gouvernement le 29 avril, Tibou Kamara prend une place encore plus centrale au sein de l’exécutif, alors qu’Alpha Condé entame son troisième mandat. À seulement 48 ans, ce jeune ministre possède déjà une longue expérience des différents pouvoirs qui se sont succédé à la tête du pays.
Il y a une décennie, on le disait déjà « indispensable ». À l’orée de la cinquantaine, Tibou Kamara a imprimé sa marque sur un quart de siècle de la vie politique guinéenne. De Conté à Condé en passant même par Moussa Dadis Camara, il aura servi tous les hommes qui ont tenu les rênes du pouvoir à Conakry. Indispensable Kamara. Insaisissable, aussi, tant son parcours, ses prises de positions et ses changements d’alliance peuvent surprendre.
Dernier galons gagnés en date : ceux de porte-parole du gouvernement, une fonction qu’il cumule avec celles de ministre d’État conseiller personnel du chef de l’État et avec ses responsabilités en tant que ministre de l’Industrie et des PME. À peine installé, Tibou Kamara a voulu imprimer sa marque. Il l’assure : désormais, chaque conseil des ministres sera immédiatement suivi d’un point presse. « La responsabilité publique s’accompagne de l’obligation de rendre compte, martèle le jeune ministre. Mon rôle n’est pas seulement de défendre le gouvernement, mais de savoir quelles sont les attentes de l’opinion, ses inquiétudes, et d’y apporter la meilleure réponse possible. » Le leitmotiv colle parfaitement au slogan sous le signe duquel Alpha Condé à voulu placer le début de son troisième mandat, promettant de « gouverner autrement ».
Le porte-parole nommé le 29 avril s’est plié à l’exercice le 6 mai dernier, à l’issue du premier conseil des ministres depuis sa nomination. Il a alors livré un long compte-rendu détaillé et très formel des points abordés : du Covid-19 aux discussions sur le fonctionnement des juridictions de commerce. Il s’est aussi plié à l’exercice des questions d’actualité, abordant les manifestations en Haute-Guinée contre l’interdiction par les autorités religieuses des prières nocturnes des dix derniers jours du ramadan, la détention des opposants politiques ou encore la grève des huissiers de justice. Un exercice nécessaire, mais qui relève parfois d’une gageure, insiste le ministre, qui assure vouloir « protéger la population de la désinformation due, parfois, à la sous-information ».
De Lansana Conté à Alpha Condé
Comme son prédécesseur Aboubacar Sylla – qui se consacre désormais uniquement à son portefeuille de ministre d’État chargé de l’Enseignement supérieur – , Tibou Kamara est un ancien patron de presse. Mais celui qui fut le directeur de L’Observateur jusqu’en 2003, a fait ses premiers pas très tôt dans la sphère politique. À seulement 25 ans, ce natif de Dinguiraye (Centre) a signé un ouvrage consacré au président d’alors, sous le titre Lansana Conté, ma politique. Des pages qui lui ont notamment valu d’être nommé ministre de la Communication par Cellou Dalein Diallo en 2006, avant que Lansana Conté ne récuse finalement ce gouvernement au bout d’à peine 24 heures.
Mais loin d’être écarté, Kamara se rapproche alors d’un Conté en fin de règne qui le nomme à la présidence du Conseil national de la communication, en 2008. Un poste qui fut une rampe de lancement pour la suite de son parcours, parfois chaotique, dans les sphères du pouvoir. Un temps sur la sellette dans le sillage de la prise de pouvoir par Dadis Camara, Tibou Kamara finit par devenir ministre de la Communication, avant de décider de quitter le pays après le massacre du stade du 28-Septembre, en 2009.
De retour un an après en Guinée, il se rapproche cette fois du général Sékouba Konaté, président par intérim de la Transition, dont il devient le ministre d’État secrétaire général. À l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir, le 21 décembre 2010, le voilà considéré comme un « ennemi du pouvoir ». À l’instar de plusieurs proches du général Sékouba Konaté, il est dans le viseur des nouvelles autorités guinéennes. Alpha Condé le cite alors même nommément comme l’un des instigateurs de l’attaque du 19 juillet 2011 contre son domicile.
Au contraire de Bah Oury, condamné par contumace avant d’être gracié, Kamara ne sera cependant jamais formellement poursuivi dans ce dossier. Il n’en a pas moins décidé de prendre le large. Lorsqu’il arrive à l’aéroport de Conakry, pour prendre le vol qui lui permettra de quitter le pays, il n’échappera d’ailleurs à l’arrestation que grâce à l’intervention directe de Sékouba Konaté… Au cours des cinq années d’exil qu’il vivra ensuite entre le Maroc et la Gambie, il se montre particulièrement critique envers Alpha Condé, contre lequel il multiplie les tribunes et interventions dans les médias.
Mais la traversée du désert ne durera qu’un temps. Après sa réélection de 2015, Alpha Condé affiche sa volonté de « rassembler ». Il rétablit la communication avec Tibou Kamara, qu’il rencontrera à Paris lors d’une de ses visites – en marge de la COP 21 à Paris – , et qu’il invite à prendre part à son investiture. C’est la fin de l’exil pour cet habitué des couloirs du palais présidentiel qui y retrouve bien vite ses marques.
Facilitateur et médiateur de l’ombre
« Entre le président de la République et moi, il n’y a presque jamais eu d’intermédiaire. Nous nous sommes toujours parlé directement et franchement. On s’est rendus compte que ce qui nous rapproche était plus important que ce qui nous séparait », assure Kamara. Durant toute la première année du second mandat d’Alpha Condé, l’ancien exilé jouera un rôle de médiateur de l’ombre : le 1er septembre, il facilite un tête-à-tête entre Alpha Condé et son principal opposant Cellou Dalein Diallo au Palais présidentiel Sékhoutouréya.
Le 21 janvier 2017, c’est encore par son entremise qu’Alpha Condé insiste auprès de Yahya Jammeh pour qu’il transmette le pouvoir à Adama Barrow. Cette fois, Tibou Kamara s’appuie sur son épouse, Myriam, d’origine marocaine. Celle qu’il avait rencontré en 2001 à Conakry et qui est devenue sa femme trois ans plus tard, n’est autre que la sœur de la Première dame gambienne, Zainab Jammeh… Quatre jours après ce tour de force diplomatique obtenu grâce à sa belle-sœur, Tibou Kamara, ancien bras droit du général Sékouba Konaté, sera d’ailleurs nommé ministre d’État conseiller personnel d’Alpha Condé.
Quand le 21 mai 2018 Ibrahima Kassory Fofana est nommé pour la première fois Premier ministre, les pouvoirs de Tibou Kamara se renforcent encore. Il se voit confier le portefeuille de l’Industrie et des PME, en plus de son poste de conseiller. Sa nomination au poste de porte-parole du gouvernement, en ce début de troisième mandat d’Alpha Condé, Kamara sait combien elle est stratégique. Et combien son avenir politique dépend de sa capacité à répondre aux attentes de celui qui l’a nommé. « Nous sommes dans un régime présidentiel. C’est le président qui est élu et a le pouvoir de nommer chacun d’entre nous, y compris le Premier ministre. »
Humilité ou prudence ?
Jusqu’où ira Tibou Kamara ? « Je n’ai jamais revendiqué ni prétendu à un poste. Le président de la République nous connaît tous, sait ce que chacun peut faire et, en fonction de cela, il confie à chacun une responsabilité, assure-t-il à Jeune Afrique. Je n’ai pas d’agenda ni d’ambition en dehors de celle qu’il a pour moi. » Un discours qui doit autant à l’humilité qu’à la prudence politique. « D’expérience, tous ceux qui ont regardé plus loin que ce qu’ils avaient n’ont pas été là où ils voulaient, mais ont perdu ce qu’ils avaient », constate-t-il.
L’amitié qu’il a su nouer avec Alpha Condé est lointaine, lorsque le premier était journaliste et le second opposant. A cette époque, Kamara n’hésite d’ailleurs pas à se faire le conseiller de l’opposant. « Nous avons construit une relation de confiance. À l’époque, personne, ou presque, ne pariait sur un destin présidentiel pour lui », assure Kamara.
Les brouilles passées entre les deux hommes seraient, à l’en croire, oubliées. « La vie n’est pas un long fleuve tranquille. On a été plus longtemps amis et partenaires que nous n’avons été opposés », glisse-t-il, mettant cela sur le compte d’une « incompréhension » et de « conflits d’intérêts et de personnes ». D’ailleurs, le passé ne compte pas puisque, pour Tibou Kamara, « le temps est le meilleur juge et le meilleur allié ».
Relations tendues
Mais l’homme ne fait pas l’unanimité au sein des cercles du pouvoir, au contraire. Selon une source proche de la présidence, il entretient des « relations difficiles et instables » avec le président de l’Assemblée nationale, Amadou Damaro Camara. En outre, « beaucoup pensent aussi que son arrivée fait de l’ombre à Ibrahima Khalil Kaba », l’ancien ministre directeur de cabinet de la présidence qui a pris les rênes du ministère des Affaires étrangères et des Guinéens de l’étranger.
Sékou Koundouno, responsable des stratégies et planification du Front national pour la défense de la Constitution, qui vit en exil depuis la présidentielle d’octobre dernier, lui reproche au contraire d’avoir oublié ses combats passés. Et en particulier son opposition à un troisième mandat. « Dans le paysage politique guinéen, il n’est pas le seul à avoir retourné sa veste, à défendre des positions aux antipodes de celles qui étaient les siennes quelques années auparavant. Le problème, c’est qu’il se fait passer pour le plus vertueux et les autres pour des Guinéens qui détestent leur pays », vitupère Koundouno, qui prend un malin plaisir à relayer sur les réseaux sociaux d’anciennes tribunes signées par Tibou Kamara.
Réponse cinglante d’un Tibou Kamara sûr de son fait : « Chacun est libre de choisir son repère dans le temps. Certains aiment s’attarder sur les rancœurs du passé. Le président a invité à se concentrer sur les espérances de l’avenir. Même Dieu ne fait pas l’unanimité. Je mets quiconque au défi de dire qu’il a gardé la même opinion à toutes les époques sur les mêmes sujets et les mêmes personnes. ».
Jeune Afrique
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