Depuis qu’elle a dénoncé les exactions de l’armée malienne et de ses supplétifs russes devant le Conseil de sécurité de l’ONU le 27 janvier et été accusée par le ministre Diop de servir des « agendas cachés », la vice-présidente de l’association Kisal fait l’objet d’attaques ultra-violentes sur les réseaux sociaux.
Elle se tait. Elle se cache. Face au déchaînement de violence qu’elle subit depuis une semaine, Aminata Dicko a dû quitter son domicile pour se « mettre à l’abri dans un endroit sûr », quelque part à Bamako. En attendant que la tempête passe, la représentante de Kisal au Mali, vice-présidente de cette association de défense des droits humains, a choisi de ne plus s’exprimer publiquement. « C’est très dur pour elle, pour ses proches, pour ses enfants », explique un cadre de Kisal, sous couvert d’anonymat.
« Agendas cachés » et appels au meurtre
Le 27 janvier dernier, Aminata Dicko est invitée par les Nations unies à s’exprimer devant le Conseil de sécurité, en tant que membre de la société civile. À la tête de l’antenne malienne de Kisal, Observatoire des droits humains pour les communautés pastorales au Sahel, cette fille d’une ex-député du cercle de Douentza, dans le centre du Mali, témoigne des violences des groupes jihadistes. Mais aussi de celles de l’armée malienne et de ses supplétifs russes, notamment contre la communauté peule. La réponse du ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, est immédiate et cinglante : mettant en doute sa « crédibilité » et sa « représentativité », il dénonce une « instrumentalisation de la société civile » au service d’« agendas cachés ».
Depuis, Aminata Dicko et l’association Kisal sont la cible de messages haineux massivement déversés sur les réseaux sociaux : accusations de traîtrise à la patrie, de connivence avec les jihadistes ou avec la France honnie, mais également des appels au meurtre, dirigés contre elle voire contre toute la communauté peule. Ces messages émanent d’individus inconnus ou de comptes liés à la sphère complotiste ou aux réseaux se présentant comme « néo-panafricanistes », « patriotes ». Leurs attaques visent principalement Aminata Dicko, mais également Dougoukolo Ba Konaré, fils de l’ancien président de la République Alpha Oumar Konaré et co-fondateur de l’association. Binta Sidibé-Gascon, autre vice-présidente de Kisal qui s’exprime régulièrement dans les médias, n’est pas épargnée non plus et subit depuis plusieurs semaines une vaste campagne de dénigrement.
Plainte pour diffamation et haute trahison
Une plainte a également été déposée à Bamako contre Aminata Dicko par le Collectif pour la défense des militaires (CDM). Apparu après le début de la période de transition dans la sphère publique malienne, ce collectif est réputé proche des militaires auteurs du coup d’État d’août 2020. Ses communiqués virulents ont les mêmes cibles politiques (la France, la Cédéao, la Minusma…) que les autorités de transition, et certaines de ses « exigences » ont d’ailleurs été rapidement exaucées, comme la suspension de RFI et France 24 dans le pays (depuis mars dernier, après la diffusion sur RFI de témoignages racontant des exactions de l’armée malienne et de ses supplétifs russes). Aujourd’hui, c’est donc contre Aminata Dicko que le CDM concentre ses efforts, avec une plainte déposée lundi dernier 30 janvier pour « diffamation, calomnie et haute trahison ».
Dans sa lettre au procureur du tribunal de la commune IV de Bamako, que RFI a pu se procurer, le CDM accuse la défenseuse des droits humains d’« usurper le titre honorifique de la société civile malienne » (sic), et « condamne » les « allégations mensongères irresponsables et indignes de la bonne dame » (sic). Une plainte que la première intéressée a apprise sur les réseaux sociaux. Des policiers se sont rendus mercredi au domicile d’Aminata Dicko, qui n’était pas présente. Ils n’ont laissé aucun document à son mari. À ce stade, Aminata Dicko prend conseil auprès d’avocats sur les suites éventuelles à donner.
Profil bas
Depuis 2015, l’association Kisal mène un travail de veille et d’alerte sur les violations des droits des communautés d’éleveurs, très majoritairement peuls, dans les pays sahéliens, et mène un travail de plaidoyer auprès des institutions nationales et internationales. Du fait de son rôle de lanceuse d’alerte, les relations de Kisal avec le gouvernement malien n’ont pas toujours été faciles, « mais jusque-là elles étaient tout de même saines, explique un cadre de Kisal, nous avons même été reçus à la primature en 2019. Aujourd’hui, nous n’avons plus aucun contact avec les autorités ». Depuis les propos du ministre Abdoulaye Diop à la tribune onusienne, le gouvernement malien ne s’est plus exprimé sur le cas d’Aminata Dicko. Aucune critique supplémentaire, aucun appel à la retenue non plus. Sollicité par RFI, le ministère malien des Affaires étrangères n’a pas souhaité commenter.
« Ce qui nous arrive est très violent », pose un cadre de Kisal. « Nous sommes habitués à être critiqués, mais là, nous avons été surpris par la rapidité et le caractère viral de tous ces messages. » Ce représentant de Kisal tient à préciser que « contrairement à ce que l’on peut lire, nous ne sommes financés ni par la Minusma ni par personne : nos activités sont réduites – animation de notre page internet, organisation de conférences, quelques déplacements – et nous les menons sur nos fonds personnels. »
Actuellement, Kisal poursuit son travail de collecte d’information et de plaidoyer mais de manière plus discrète. Les publications sur la page Facebook de l’association ont été suspendues. En attendant de voir comment la situation va évoluer, les membres de l’association ont décidé de ne pas répondre aux messages d’injures et de faire « profil bas » pour ne pas envenimer les choses.
Mais Kisal a également reçu de nombreux messages de soutiens, de la part d’anonymes, de professionnels reconnaissant la qualité du travail de l’organisation, de personnalités de la société civile défendant la liberté d’expression et bien sûr de nombreux ressortissants de la communauté peule. Les défenseurs de Kisal soulignent le caractère vital de leur action de plaidoyer pour les victimes, et rappellent à ceux qui accusent Aminata Dicko d’être à la solde de l’Occident qu’elle était parmi les premières à révéler les frappes de la force française Barkhane ayant touché une cérémonie de mariage à Bounti, dans le centre du Mali, il y a tout juste deux ans. Aujourd’hui, les membres de Kisal se disent partagés entre la tristesse, le dépit, mais aussi la sérénité de ceux qui estiment « accomplir leur devoir ».
Sujets tabous
Les allégations d’exactions portées contre l’armée malienne et ses supplétifs russes, et le ciblage de la communauté peule lors d’opérations militaires dites « antiterroristes », sont devenus des sujets tabous au Mali. « Il y a un déni sur cette question ethnique, pointe le cadre de Kisal. Les autorités refusent d’en parler, ceux qui le font sont accusés d’avoir un agenda caché ou de vouloir diviser le Mali, mais c’est ce déni qui renforce les antagonismes ! » Et de poursuivre : « l’État n’est pas notre ennemi et nous ne nous sommes jamais cachés. Au contraire, notre travail a pour but d’alerter les autorités et de leur permettre de réagir. »
Depuis le début de la période de transition, des opposants politiques, des organisations de journalistes, de défense des droits humains ou, plus récemment, un panel d’experts indépendants mandatés par les Nations unies, n’ont de cesse d’alerter sur la restriction de l’espace civique au Mali, sur les intimidations et les violences dont sont victimes ceux qui osent aborder ces sujets. Parfois par des sympathisants des autorités de transition, se livrant à des injures, à des menaces, voire à des agressions physiques. Parfois par les autorités elles-mêmes : suspension temporaire ou définitive de médias, arrestation – légales ou extra-judiciaires – de militants politiques, procédures judiciaires intentées contre des voix critiques du régime.
Dans le discours qu’il a prononcé devant le Conseil de sécurité des Nations unies le 27 janvier dernier, avant son « accrochage » avec Aminata Dicko, le chef de la diplomatie malienne Abdoulaye Diop a affirmé que « tout en s’opposant fermement à toute instrumentalisation ou politisation de la question », le gouvernement malien continuerait d’« œuvrer inlassablement pour la protection et la promotion des droits de l’homme, (…) conformément aux valeurs ancestrales humanistes » du Mali.
RFI
Les commentaires sont fermés.