Arrestations et détentions extrajudiciaires en Guinée: Le témoignage d’un jeune rescapé, Alpha Oumar Sow
20 septembre 2023
La traque contre les militants de l’opposition continue en Guinée sans repit ni pitié. Les militaires et autres forces de défense de sécurité ne manquent d’aucun cynisme pour conduire leur projet macabre. Celui qui consiste à décapiter l’opposition.
Si avant l’opinion connaissait les arrestations, les bastonnades, les interrogatoires musclés contre les opposants, notamment les jeunes pour les dissuader de mener la lutte pour l’instauration dans notre pays d’un Etat démocratique et laïque, régi par le droit, désormais, il apparaît une autre forme de repression contre les militants de l’opposition. Il s’agit du kidnaping de ses militants et de la séquestration menés par des hommes armés, habillés en tréllis et cagoulés. Ceux-ci sillonnent les zones hostiles à la junte et procèdent à ces méthodes dignes de la Corée du Nord.
Nous avons rencontré un rescapé de ce mode opératoire sinistre depuis son lieu de cachette. Il s’agit du jeune Alpha Oumar Sow, né le 6 juin 2000 à Dalaba . Militant du FNDC (Front nationale pour la défense de la Constitution), kidnappé le 8 septembre dernier et détenu dans un lieu tenu secret par des hommes armés et selon son témoignage qui étaient en cagoule.
Il nous raconte son calvaire. » Je m’appelle Alpha Oumar Sow, étudiant en Sociologie à l’Université général Lansana Conté de Sonfoniya. Je suis militant du FNDC depuis 2019. J’ai commencé à militer dans ce mouvement depuis que j’étais au Lycée à Kindia. Parallèlement , je suis de l’UFDG. A Kindia, tout comme à Conakry où j’ai fait l’université, j’ai participé à toutes les manifestations de l’opposition. D’abord contre le 3e mandat du président Alpha Condé, puis le combat pour le retour à l’ordre constitutionnel sous le régime du CNRD du Colonel Mamadi Doumbouya.
J’ai fait l’objet de plusieurs arrestations suivies des actes de torture. Mais celle que j’ai subie le 8 septembre m’a traumatisé. J’ai été arrêté dans la nuit du 8 septembre 2023 alors que j’étais sur une moto par des éléments des forces spéciales qui patrouillaient dans la zone. Ils disaient qu’ils vont empêcher toute contestation de rue pendant que le président Mamadi Doumbouya était au sommet de l’ONU.
Ceux qui m’ont arrêté étaient cagoulés. Ils m’ont fait monter dans leur pickup en me bandant les yeux pour me conduire dans une maison. Lorsqu’ils m’ont enlevé le bandeau, j’étais dans le noir, une pièce toute noire. Je suis resté comme ça pendant des heures lorsque le matin est arrivé, je percevais la lumière du jour. Personne n’est venu. J’entendais des bruits des pas mais je ne voyais personne. J’avais perdu la notion du temps. J’avais vraiment peur. Toute ma référence était la lumière du jour que je percevais à peine. Lorsque cette lumière a cessé, j’ai deviné que la nuit est tombée. C’est en ces temps qu’une personne est venue me déposer un bol de bouillie de maïs et une miche de pain, plus un demi-litre d’eau. Lorsque j’ai fini, quelque temps, deux hommes sont venus me chercher pour me conduire dans une pièce où il y avait un monsieur en civil. Ce dernier m’a posé plusieurs questions. Il voulait savoir sur le financement de nos activités, nos relations avec les opposants, l’identité des jeunes leaders de l’Axe, etc..J’ai répondu à toutes ces questions en lui faisant savoir que l’unique but qui nous anime c’est le retour à un régime démocratique. Évidemment, je n’ai donné aucun nom.
A près un entretien qui a pris quelques 45 mns, ils m’ont ramené dans la pièce où j’ai été isolé pendant deux jours. Avec deux repas par jour. Un gobelet de bouillie, une miche de pain, le matin et le soir une plat du riz.
A la 3e nuit, j’ai été conduit dans la même pièce. Cette fois-ci, celui qui était en face de moi avait l’air d’un officier. Il ne m’a pas interrogé mais il s’est mis dans un long diatribe, fustigeant notre attitude d’opposants. Puis il marque une pose, me propose de travailler pour eux en dénonçant mes camarades. Il dit si j’accepte leur proposition, ils vont me récompenser sans dire quelle sorte de récompense. Il m’a dit de réfléchir. Au cas où je refuse ou je dis à quelqu’un sur notre conversation, je vais le regretter. Il a donné l’ordre de me libérer.
On m’a bandé les yeux et m’a fait monter dans une voiture. Lorsque j’ai demandé ma moto, ceux qui m’escortaient m’ont dit qu’on va me la rendre si je me conforme à leur offre, c’est à dire collaborer avec eux. Au cas contraire, ils vont me faire disparaître à jamais. Pourtant, outre ma moto, j’avais sur moi mon téléphone et une somme de 2000.000 millions que mon oncle m’avait remis pour son beau père, alité.
Lorsque la voiture s’est arrêtée, on m’a enlevé le bandeau aux yeux et ils m’ont dit de descendre. J’ai réalisé que j’étais au carrefour canadien, non loin de notre domicile. Ce qui m’a fait comprendre que mes ravisseurs connaissaient ma maison. »
Ce témoignage d’un rescapé de centres de détentions non conventionnels est une preuve évidente que la Guinée vit une nouvelle dictature. D’ailleurs on s’interroge l’intention réelle de ces putschistes qui ont renversé une autre dictature, celui d’Alpha Condé. En tout cas, on est loin des promesses de l’homme du 5 septembre 2021.
Gabriel Soumah/Lejour.info
Les commentaires sont fermés.