Le retour des militaires dans la grande ville du Nord, ce mardi, représente une victoire symbolique éclatante pour le colonel-président Assimi Goïta.
L’affront est lavé. L’armée malienne est de retour à Kidal, après plus d’une décennie d’absence. Certes, une grande partie de la population de la ville du Nord a fui, par peur des combats ou des exactions. Certes, le flou régnait encore mardi soir sur les positions respectives des militaires maliens et des combattants de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) – depuis vendredi, le réseau téléphonique a été coupé par les rebelles. Certes, la future défense de Kidal s’annonce compliquée pour l’armée malienne, à 1 500 kilomètres de Bamako, dans un environnement largement hostile. Il n’empêche. La junte au pouvoir à Bamako vient de remporter une victoire incontestable.
Le retour de l’armée malienne à Kidal était une obsession du quintet de colonels qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta à l’été 2020. La «reconquête» des villes du Nord, et en particulier du fief des indépendantistes, la restauration de «l’intégrité du territoire national» et de la «souveraineté» du Mali étaient des mantras répétés à longueur de discours par les membres du gouvernement. La prise de Kidal vient opportunément valider, pour les partisans de la junte, la posture offensive du Mali, qui a renversé la table en exigeant le départ des soldats français de l’opération Barkhane puis celui des Casques bleus. Le régime de Bamako considérait Paris comme un protecteur secret des Touaregs. Il jugeait la Mission des Nations unies au Mali inefficace et trop regardante sur le respect des droits de l’homme. Jamais la junte au pouvoir n’a en vérité cherché à appliquer l’accord de paix d’Alger, signé en 2015 entre le gouvernement malien et les mouvements rebelles du Nord.
Guerrier taiseux
Le colonel Assimi Goïta, président du Mali, a lui-même annoncé sur X (ex-Twitter) la prise de la ville : «Aujourd’hui, nos forces armées et de sécurité se sont emparées de Kidal, a-t-il déclaré. Notre mission n’est pas achevée. Je rappelle qu’elle consiste à recouvrer et à sécuriser l’intégrité du territoire, sans exclusive aucune, conformément aux résolutions du Conseil de Sécurité.» Pour un pouvoir militaire, un succès opérationnel est toujours une excellente nouvelle. La popularité d’Assimi Goïta, ex-commandant des forces spéciales, repose précisément sur son image de guerrier taiseux. La nouvelle de la prise de Kidal a été saluée par ses supporteurs, qui ont immédiatement appelé à un rassemblement de célébration sur la place de l’indépendance, au cœur de la capitale.
L’arrivée des troupes maliennes à Kidal aurait-elle été possible sans leur partenaire de combat, les mercenaires russes du groupe Wagner ? La junte, qui n’a enregistré aucun progrès dans la lutte contre l’insurrection jihadiste depuis deux ans, tient enfin une victoire militaire prestigieuse. Aux yeux de ses partisans, elle constituera une «preuve» du bien-fondé du recours à la sulfureuse compagnie de sécurité russe – même si Bamako continue obstinément de nier sa présence au Mali. Les hommes de Wagner ont accompagné la colonne de l’armée partie de Gao le 2 octobre en direction de Kidal. Le convoi aura mis un mois et demi à atteindre son objectif, arrêté à plusieurs reprises dans sa course par les rebelles de la CMA. Mais les soldats maliens, aguerris par dix années de guerre civile, et leurs supplétifs russes, expérimentés, disposaient de deux avantages : la maîtrise des airs et la supériorité de l’armement.
Revers historique
En face, les mouvements séparatistes essuient un revers historique. Après avoir, ces derniers jours, violemment affronté la junte à une vingtaine de kilomètres de Kidal, une partie des troupes de la Coordination des mouvements de l’Azawad s’est repliée en direction du nord et de la ville d’Aguelhoc. «Les forces armées de l’Azawad ont durant plusieurs jours stoppé l’avancée du raid [de l’armée malienne], lui infligeant des grandes pertes humaines et matérielles avant de se retirer de la ville pour des raisons estimées stratégiques pour cette phase de combats», indique un porte-parole de la CMA. Aucun des deux camps n’a communiqué de bilan humain des affrontements. Mardi, les quelques vidéos tournées dans les rues de Kidal et diffusées sur les réseaux sociaux montraient une ville déserte et silencieuse. Nul doute que le drapeau tricolore malien y a déjà été hissé. Un symbole dont les souverainistes – et assez largement, la rue bamakoise – rêvent depuis dix ans.
S’ouvre une nouvelle phase dans la crise sans fin que traverse le nord du Mali. La CMA se remettra-t-elle de cette défaite ? A-t-elle conservé suffisamment de combattants – et de cohésion entre ses différentes factions – pour mener une guérilla contre l’armée malienne, comme les indépendantistes touaregs l’ont fait par le passé ? «Nous continuons notre combat inchallah, affirme un cadre. C’est la fin d’un épisode, mais le feuilleton, lui, vient juste de commencer.» L’armée malienne parviendra-t-elle à tenir le terrain reconquis, dans ce grand Nord dont elle s’est toujours méfiée ? Un autre acteur pourrait en sortir renforcé : le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jnim, selon son acronyme arabe, qui a prêté allégeance à Al-Qaeda), qui règne en maître sur le désert malien. L’alliance des jihadistes et des indépendantistes, en 2012, avait fait basculer le Mali dans la guerre. Ils se partageaient de facto le contrôle du territoire depuis. Désormais, les insurgés islamistes sont en position de force.
Source: Libération
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