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Oumar Kateb Yacine de l’Institut Afrique Émergente: « ce qui se passe actuellement au Sénégal est inquiétant pour l’avenir de la démocratie dans la sous-région »

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Le report des élections présidentielles au Sénégal annoncé début de semaine, l’échec de la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) dans sa démarche pour une intervention militaire au Niger contre la junte et le récent retrait des trois pays sahéliens (le Burkina Faso, le Mali et le Niger) de cette institution sous-régionale sont les points abordés par le journaliste, analyste géopolitique, Oumar Kateb Yacine, Président de l’Institut Afrique Émergente, un think tank panafricaniste, à travers cette interview réalisée au compte de la Rédaction Mediaguinee

Mediaguinee.com: Commençons par le sujet brûlant de l’actualité. Qu’en dites-vous de l’abrogation du décret fixant les élections présidentielles le 25 février 2024 au Sénégal, annoncé fin de semaine par le Président Macky Sall dont le mandat constitu2tionnel expire le 2 avril ?

Oumar Kateb Yacine: Ce qui se passe actuellement au Sénégal est triste pour l’avenir de la démocratie dans nos pays. C’est une crise institutionnelle qui doit avoir la solution dans le respect de la loi.

Des gendarmes qui s’immiscent dans l’hémicycle en plein débat parlementaire pour déloger des députés de l’opposition afin qu’une loi sur le report du scrutin présidentiel soit votée est choquant pour ce pays, demeuré longtemps un modèle de pluralité d’opinion dans notre sous-région. Ces arrestations d’opposants, ces démissions en cascades des ministres, ces journalistes malmenés, l’Internet coupé, le retrait définitif de la licence d’une chaîne de télévision (Walf Tv), ce sont là des signes inquiétants pour le pays, pour la sous-région et pathétiques pour le président Macky Sall qui, pourtant a réalisé des belles choses durant ces deux mandats.

Maintenant, espérons que le dialogue qu’il a prôné aboutira à un consensus pour aller à des élections apaisées, libres et transparentes; que les institutions (la présidence de la République, le Parlement et le Conseil constitutionnel) parviennent à résoudre cette crise et que l’armée reste loin de ce débat. Il est primordial pour les Sénégalais d’éviter le chaos. La stabilité de notre sous-région en dépend. Il ne faut pas donner l’occasion aux djihadistes et autres forces maléfiques de trouver par là une faille pour s’engouffrer et déstabiliser les autres pays qui restent pour le moment en sécurité.

En parlant de la crise au Niger, finalement la CEDEAO n’a pas mené sa menace en exécution pour intervenir militairement afin de déloger les putschistes et rétablir le président déchu, Mohamed Bazoum dans ses fonctions.

C’était du bluff. Elle (NDLR: la CEDEAO) n’en a pas les moyens. Déjà, entre les pays membres de l’institution, il y avait une divergence d’opinion et d’appréciation sur la crise en question. En plus, je pense que la menace du Mali et du Burkina Faso de rejoindre le Niger en cas d’attaque, la position ambiguë de certaines puissances occidentales sur la voie à adopter pour la résolution de la crise, la présence de la Russie dans la région avec son groupe Wagner , l’opposition de l’Algérie et du Tchad à toute intervention armée dans ce pays ont pesé dans la balance. Il n’y avait que le Nigeria, – qui finira par se rétracter-, le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal qui s’agitaient pour suivre la volonté de Paris. Alors qu’il fallait d’abord chercher à obtenir la libération de Mohamed Bazoum et de lui trouver un pays d’exil. Au lieu de cela, ils ont suivi le Président Macron qui a fait le retour du Président déchu au pouvoir un défi personnel. Résultat, la France, lâchée par ses partenaires américains et européens, a été chassée politiquement et militairement du Niger comme un malpropre. Les putschistes ont réussi tout ce qu’ils voulaient et Mohamed Bazoum reste leur prisonnier malheureusement. Les sanctions iniques et cyniques de la CEDEAO contre les pauvres populations nigériennes n’ont rien résolu.

Récemment, trois pays de la CEDEAO (le Burkina Faso, le Mali et le Niger) ont annoncé leur retrait de l’institution ?

C’est une décision qui ne restera pas sans conséquence et pour la CEDEAO, et pour ces trois pays. En tant que panafricaniste convaincu que l’avenir de nos Etats-nations se trouve dans l’intégration politique, économique et sociale du continent, je pense que ces pays dirigés aujourd’hui par des militaires putschistes n’ont pas pris la bonne décision. C’est une démarche pour échapper à tout contrôle de la transition et se maintenir au pouvoir. C’est vrai que la CEDEAO a ses insuffisances. Mais ce sont des insuffisances qu’on peut corriger à l’interne.

Mais, il semblerait que ces États ne comptent pas s’arrêter au retrait de la CEDEAO, mais aussi, de l’UEMOA (Union Économique et Monétaire Ouest Africaine) pour bâtir leur propre monnaie?

Quitter l’UEMOA, donc abandonner le FCFA comme monnaie n’est pas une mauvaise chose étant donné que cette monnaie est un vestige colonial. Mais, il serait plus judicieux que cet espace de l’Afrique de l’Ouest ait une seule monnaie et une seule banque centrale comme ce projet de l’Eco, malheureusement foulé au sol par le Président Alassane Ouattara inspiré et téléguidé par son homologue Emanuel Macron. Il se dit que des experts de ces trois pays sont entrain de réfléchir sur la question. Est-ce que cela va prospérer? Je suis sceptique. Pour ces États, fédérer leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme et le retour à la paix pour leurs populations respectives sans discrimination ni exclusion est plus important que de s’engager sur des voies hasardeuses voire périlleuses. En cas de coup d’État dans l’un de ces pays, leur association s’écroulera comme un château de carte. Car aucun de ces trois régimes n’émane des urnes.

En Afrique, nous devons apprendre à diriger et prendre les décisions qui engagent nos peuples par les urnes. Si nos peuples ne trouvent pas leur compte dans ces institutions sous-régionales c’est qu’ils ne sont jamais consultés. La CEDEAO a été créée en 1975 par des chefs d’État autocrates, parmi eux il n’y avait que des militaires putschistes et des dictateurs. Il n’y a jamais eu un référendum sur le fonctionnement de cette institution. C’est pareil pour le reste du continent.

Alors quelles seront les conséquences de ce retrait s’il se confirme?

Elles seront néfastes pour toute la sous-région. Les populations doivent pouvoir se déplacer entre les États sans contraintes. Il faut favoriser la libre circulation et le libre échange que de créer des entraves économiques et financières nuisibles pour le développement de notre continent.

Propos recueillis par la Rédaction

Source: Mediaguinee

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