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Abdoulaye Kouyaté pollinise le folklore guinéen

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Apprécié par ses pairs qui ont souvent fait appel à ses qualités de guitariste et joueur de kora, Abdoulaye Kouyaté franchit une nouvelle étape, à 49 ans, en signant un premier album intitulé Fefanyi dans lequel le Guinéen installé en France se penche sur sa culture avec l’envie d’en partager sa vision décloisonnée.

Sur son album, Abdoulaye Kouyaté n’avait pas prévu de faire entendre sa voix. Ce projet auquel il a pensé durant de longues années devait être 100% instrumental, avec pour objectif principal de mettre en avant ses aptitudes aussi bien à la guitare qu’à la kora, ses deux instruments de prédilection. Le Guinéen y voyait a priori une façon d’esquiver les critiques auxquelles doivent faire face bien des chanteurs, lui qui en a accompagné bon nombre depuis près de trois décennies. « Je n’avais jamais osé franchir le pas », convient-il.

Mais tout a changé au cours de la première session d’enregistrement qu’il avait programmée. Après trois heures de studio, incapable de finir quoi que ce soit, il profite d’une pause pour chanter un bout de texte qu’il a en tête. De retour à sa console, l’ingé-son lui fait comprendre qu’il tient une idée à exploiter. Ce déclic, survenu avec Fefanyi qui a donné son nom à l’album, a libéré le musicien, qui avait « beaucoup de brouillons » dans ses anciens téléphones qu’il conservait même s’il ne les utilisait plus !

Pour le soutenir dans sa démarche, il a pu compter sur ses nombreuses connexions dans le milieu où il évolue. À commencer par Gabi Hartman, au service de laquelle il s’est mis depuis 2015, peu de temps après avoir emménagé à Paris – altruiste, il l’a aussi présentée à son compatriote et ami Moh ! Kouyaté qui l’a invitée sur son disque acoustique Mokhôya paru fin 2023. « J’ai eu un coup de cœur pour sa façon de chanter, sa personnalité », dit-il au sujet de la chanteuse de jazz devenue incontournable, qui a confié à son fidèle complice la première partie de son concert parisien à La Cigale en novembre dernier.

C’est la seule collaboration qu’il a conservée, assure-t-il, pour mieux se consacrer à son premier disque sous son nom. Et éviter ce « mal de crâne » que connaissent ceux qui, comme lui, sont sans cesse sollicités pour des remplacements de dernière minute et doivent s’approprier toute une setlist en quelques jours, voire quelques heures !

Pour décrire le style de jeu des guitaristes de son pays qui « ne placent pas d’accords » mais « décortiquent », il prend l’exemple des poules « qui attaquent les grains de riz qu’on a jetés par terre ». S’il puise dans le « folklore guinéen », son intention est de le moderniser, l’emmener sur d’autres terrains, à l’image d’On fait quoi ? aux couleurs du coupé décalé ivoirien.

Dans son entreprise artistique, le quadragénaire a embarqué un autre acteur réputé de la scène afroparisienne : le Béninois Patrick Ruffino, coiffé ici de la casquette de réalisateur. « Je le connais depuis 2003 quand j’avais été invité au Fitheb (Festival international de théâtre du Bénin, NDR) », se souvient Abdoulaye, irrésistiblement attiré par le son de la basse de son aîné, lors du soundcheck.

Le Guinéen était venu à Cotonou avec le Circus Baobab, cette troupe dans laquelle il avait remplacé son père Sekou Kouyaté, guitariste de renom en Afrique de l’Ouest, connu pour son rôle auprès de la Sud-Africaine Miriam Makeba lors de ses années guinéennes. La filiation n’explique pas tout : longtemps, il n’a pas été question pour le premier-né de la famille de suivre les traces paternelles. D’ailleurs, il n’y avait même pas d’instrument à la maison ! « C’était le deal entre mon papa et ma maman », commente-t-il. Impossible pourtant de faire abstraction. « À la télé, je voyais mon père qui jouait, j’en étais fier, et je faisais les notes dans ma tête. Je me disais que le jour où j’aurais une guitare dans les mains, je jouerais mieux que lui. »

Le week-end, dans son quartier, le jeune homme qui vise un diplôme en comptabilité et gestion, piste tous les musiciens, repère où ils habitent et finit ainsi par pouvoir enfin toucher l’objet tant désiré, en faire sonner les cordes. Il a dix-neuf ans. En un temps record, le voilà sur scène à Conakry, en particulier à hôtel Camayenne. « Les expatriés nous demandaient des morceaux de Lionel Richie ou Bob Marley. Certains venaient avec des cassettes, on les écoutait et on apprenait. Ça nous a bien formés » note-t-il. Ba Cissoko, qui a fait ses armes dans le même établissement avant de s’envoler pour la France, lui propose d’intégrer son groupe en 2007, peu de temps après la décision d’Abdoulaye de s’installer à Marseille, après plusieurs années d’allers-retours avec sa terre natale.

L’aventure dure dix ans, avant de se poursuivre avec un autre korafola, Djeli Moussa Condé. En parallèle, il s’investit au sein de la formation Rio Mandingue. Toujours autour de la rencontre entre Afrique et Brésil, il lance ensuite le Trio Colibri dont l’envol est stoppé net par le confinement lié à la pandémie de Covid-19, au moment exact où sort un album, en mars 2020.

Souvenir frustrant, forcément, mais qui a réveillé et révélé l’envie enfouie, sinon inavouée, de jouer sa carte personnelle. L’expérience de Fefanyi a produit ses effets : « J’ai beaucoup à présenter. Ce n’est que le début », promet-il, définitivement rassuré sur sa légitimité à occuper le premier plan, quitte à s’exposer.

Abdoulaye Kouyaté Fefanyi (Reva) 2024
En concert au Studio de l’Ermitage à Paris le 20 juin.
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Source: RFI

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