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« Ce projet de constitution ne ressemble nullement à la Guinée » dixit Mansour Kaba

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AVIS SUR LE PROJET DE CONSTITUTION DU CNT

INTRODUCTION

Depuis quelques jours, le Conseil National de la Transition (CNT) s’efforce de présenter son projet de Constitution aux diverses organisations socio-politiques de la République de Guinée.

En ma qualité de dernier candidat à la toute première élection présidentielle de décembre 1993 encore en activité en Guinée, je crois qu’il est de mon devoir de communiquer à la communauté nationale et internationale mon avis sur ce projet de constitution. Avant une étude approfondie de ce projet de constitution, je crois dès maintenant pouvoir formuler les critiques suivantes :

DE LA NECESSITE D’UN PREAMBULE

Les auteurs du projet de Constitution de la République de Guinée semblent proposer au Peuple de Guinée un projet de constitution qui relève de l’An 1 de la République de Guinée, c’est-à-dire octobre 1958, sans aucune considération pour les années antérieures. Le préambule devrait signaler ce que nous sommes aujourd’hui et où nous voulons aller demain.

Or, l’Etat guinéen est dans sa soixante-sixième année d’existence. Il a déjà connu plusieurs constitutions ou Lois fondamentales. D’où l’impérieuse nécessité d’évoquer dans un préambule les conditions de refondation de l’Etat guinéen selon le CNRD après sa prise du pouvoir le 5 septembre 2021. Il s’agit de rappeler dans ce préambule les garanties promises selon lesquelles ni le Président de la Transition, ni aucun membre du CNRD, du gouvernement et du CNT ne pourra être candidat aux diverses élections qui mettront fin à la Transition. Ces principes ont également été retenus par la CEDEAO.

Toute négligence de cette obligation devra être considérée comme une porte ouverte à la trahison des engagements initiaux des responsables de la Transition. Tout le monde est témoin de ce qui est arrivé à l’équipe de Moussa Dadis Camara dans un cas semblable.

DE LA DISCRIMINATION SUR LA BASE DE L’ÂGE DES CONDIDATS AUX DIFFERENTES ELECTIONS ET SURTOUT A L’ELECTION PRESIDENTIELLE

Le projet de constitution du CNT introduit une discrimination par l’âge des candidats : aussi bien pour les jeunes âgés de moins de 35 ans que pour les vielles personnes âgées de plus de 80 ans. Cette discrimination est intolérable car elle retire aux citoyens la liberté de voter pour les candidats de leurs choix. Le rôle d’une Constitution n’est pas d’organiser cette discrimination arbitraire et attentatoire aux droits fondamentaux des citoyens guinéens.

Il faudra fixer des conditions draconiennes de santé mentale et physique, de probité morale ainsi que d’autres conditions financières pour les candidatures aux différentes élections communales, municipales, législatives et présidentielles. Mais il faut laisser aux citoyennes et aux citoyens le libre choix en matière de candidature et d’élection. On ne fait pas une constitution pour régler des comptes.

 

DE LA CANDIDATURE LIBRE A L’ELECTION PRESIDENTIELLE

En considérant les enquêtes minutieuses et exigeantes que le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD) vient de mener sur les partis politiques en République de Guinée, on a l’impression que le CNT et le MATD ne se concertent nullement pas pour s’entendre sur le rôle des partis politiques en République de Guinée. Ainsi la main gauche de l’Etat ne sait pas ce que fait la main droite. L’indépendance du législatif par rapport à l’exécutif oblige …

Avec les grands projets miniers qui sont en cours de réalisation dans notre pays, la candidature à l’élection présidentielle ne doit en aucun cas être autorisée pour des individus incontrôlables et incontrôlés. Même si certains partis politiques sont dirigés par des leaders à la recherche d’un poste de président d’organisations politiques, ceux-ci finissent tout de même par agir sur le terrain et se faire connaître avec le temps. Mais un candidat libre sorti de l’ombre du jour au lendemain ne peut être comparable à un candidat présenté par un parti politique fonctionnant légalement et dans la durée. Avec l’autorisation des candidatures libres, notre pays sera livré à des groupes mafieux qui utiliseront des chevaux de Troie dociles et apatrides. Ce sera le meilleur moyen de chasser les investisseurs dont notre pays a un besoin vital.

DE LA PROTECTION DES BIENS DE L’ETAT ET DES BIENS PRIVES CONTRE L’APPETIT DES GOUVERNANTS

L’intangibilité des frontières héritées du système colonial est le principe à ne pas toucher. Aucune modification du tracé des frontières de la République de Guinée ne devrait être autorisée sans un referendum préalable.

En République de Guinée, les femmes et les hommes qui exercent une portion du pouvoir d’Etat se comportent souvent comme des hors-la-loi. D’où la nécessité de légiférer sur les limites des pouvoirs de nos gouvernants. Quelques exemples dans ce domaine :

a) Le vol des rails de l’Office national des Chemins de Fer de Guinée (ONCFG) sur plus de 600 km entre Conakry et Kankan pour les vendre comme de la ferraille. La cupidité des proches du pouvoir devrait avoir des limites.

b) Le vol, organisé par le Président de la République, de tous les équipements neufs de l’usine de jus de fruits de Foulaya à Kindia pour les vendre dans les rues de Conakry. Il s’agit ici de l’une des toutes premières usines privatisées des années 1985 et pour laquelle des investisseurs privés guinéens possédaient environ 85 % des actions.

c) Un secret d’Etat bien gardé était entretenu autour de l’actionnariat de la société d’économie mixte turco – guinéenne pour la gestion du port autonome de Conakry. Dans cette société, le Président Alpha Condé se serait attribué, à titre personnel, plus de 40 % es actions de cette société. Aucun chef de l’Etat ne devrait avoir le droit de s’attribuer une quelconque part du patrimoine national. Un tel acte devrait conduire le président Alpha Condé devant la Haute Cour qui juge les chefs d’Etat.

d) Tout le monde sait aussi comment des anciens premiers Ministres se seraient attribué des maisons appartenant à l’Etat guinéen en prétendant les avoir achetées. Mais à quel prix ?

DE L’EGALITE DES CITOYENNES ET DES CITOYENS DEVANT LA LOI

Dans notre pays, il y a des citoyens qui se croient encore « plus égaux que d’autres ». Ainsi, des citoyennes et des citoyens croient devoir ignorer la Loi et les droits d’autres compatriotes. Sans vouloir stigmatiser une région particulière, je crois pouvoir citer le cas flagrant de l’ingénieur agronome et ancien Préfet de Lélouma, M. Samba Héry Camara. Suite à l’assassinat de sang froid d’un jeune de cette préfecture par un citoyen qui se croyait au-dessus de la Loi, des notables locaux ont décidé que le Préfet en fonction ne devait pas les « commander » à cause de son origine ethnique. Un décret présidentiel finira par affecter le fonctionnaire en question à Mamou jusqu’à son départ récent à la retraite. Les plus belles formulations généreuses des termes du projet de constitution ne serviront à rien tant que ces problèmes d’égalité des citoye nnes et des citoyens devant la Loi ne trouveront pas une application honnête et sincère.

QUE FAIRE EN CAS DE REJET DE LA CONSTITUTION A L’ISSUE DU REFERENDUM ?

Le CNT devra prévoir le cas du rejet majoritaire de la Constitution sous sa forme actuelle. On a beau vouloir minimiser le rôle des partis politiques dans les prises de décision dans notre pays, il est évident que si un nombre important de partis politiques rejette le projet de constitution du CNT, le referendum sera un fiasco retentissant. Il faudra alors se poser la question : que faire alors ?

CONCLUSION

En rédigeant cet avis critique sur le projet de constitution préparé par le CNT, je ne peux m’empêcher de penser à mes amis et compagnons de lutte pour la démocratie et l’Etat de droit en République de Guinée. Notamment aux premiers candidats à la toute première élection présidentielle pluraliste de décembre 1993 : Ba Mamadou, Siradiou Diallo, Jean Marie Doré et Alpha Condé qui aura été la honte de notre génération, en s’attribuant un troisième mandat présidentiel illégal.

Le projet de constitution qui est en cours de présentation aux différentes forces vives du pays ne ressemble nullement à la Guinée et ne peut non plus servir de liant pour l’unité nationale. Il faudra que les membres du CNT reprennent rapidement leur copie en y apportant les modifications indispensables. Sinon, le Peuple de Guinée, dans sa grande majorité, rejettera cette constitution en votant « NON » comme en septembre 1958.

 

Fait à Conakry, le 19 août 2024

 

LE PRESIDENT DU PAG

 

Elhadj Mohamed Mansour KABA

Ingénieur diplômé du Génie Civil (T. U. München, Allemagne, 1969)

Ancien Ministre de la Transition en 2010.

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