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Crimes contre l’humanité et procès à la tête du client (Par Tierno Monénembo)

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Après deux ans d’un procès où le folklore a bien souvent dominé sur le débat de fond, le verdict est enfin tombé : Dadis Camara et ses principaux acolytes écopent de 20 ans de prison, Toumba Diakité de 10 et un ou deux comparses bénéficient, eux, de l’acquittement. On ne va pas s’en plaindre.

La justice guinéenne montre pour une fois que nul n’est au-dessus de la loi, que nos dirigeants n’ont pas, comme ils ont tendance à le croire, droit de vie et de mort sur leurs concitoyens. Quinze ans après les faits, les victimes peuvent pousser un ouf de soulagement : les violences et les humiliations qu’elles ont subies ne sont pas restées impunies. Leur douloureuse patience a fini par payer. A défaut d’effacer leurs traumatismes, ce verdict leur redonne leur droit de citoyen et leur dignité d’être humain.

On espère seulement qu’on ne va pas rester en si bon chemin. Dadis Camara n’est pas le seul et unique criminel de ce pays. Avant lui, il y a eu Sékou Touré et Lansana Conté ; après lui, Alpha Condé et Mamadi Doumbouya. L’histoire de notre Indépendance n’est pas un long fleuve tranquille, c’est une mer houleuse, un tsunami de sang et de larmes. Nul ne peut le nier, l’Etat guinéen n’est pas une institution fondée sur le droit, c’est une affaire sordide, commandée par une bande de criminels.

Les victimes du stade du 28 Septembre sont, least but not last, rétablies dans leur droit. Qu’en sera-t-il de celles du Camp Boiro ? Pour parler clair, à quand le procès du sanguinaire Sékou Touré ? Oui, tout heureux que l’on soit pour nos sœurs violées, on ne sort pas de ce procès sans un certain malaise. On a la désagréable impression, que tout coupable qu’il soit, Dadis subit la cruelle injustice de se retrouver seul dans le box des accusés ; que l’on braque les projecteurs sur lui pour mieux cacher le reste ; que l’on indexe la sangsue pour innocenter le vampire. C’est encore et toujours, la justice, à la sauce guinéenne, la justice à la tête du client, quoi.

Dans ce pays, tout procès politique digne de ce nom doit commencer par le Camp Boiro. Le Camp Boiro d’abord, le resta après. Le Camp Boiro, c’est notre Auschwitz à nous. C’est là qu’a disparu la fine fleur de l’intelligentsia guinéenne. Plus de 50 000 victimes et dont l’Etat n’a jamais chercher à retrouver les traces. Des innocents dont les aveux extorqués sous la torture furent diffusés de nuit par la voie des ondes.

Vous imaginez bien que si Sékou Touré avait eu la moindre accusation crédible contre eux, il se serait empressé de les présenter au grand jour devant un tribunal et de les juger au vu et au su de tous. Mais non, les Fodéba Keïta, les Barry Diawadou, les Karim Bangoura, les Bama Mathos ont été enlevés nuitamment, sauvagement assassinés et jetés dans un trou creusé quelque part dans la brousse. Aucun prêtre, aucun marabout ne leur offrira une prière. Aucun des leurs n’ira fleurir leur tombe puisque Sékou Touré qui se disait pourtant musulman, ne leur a même pas accordé une sépulture.

Et puis, à quoi bon juger Pierre ou Paul puisque le bilan de notre Indépendance ne se mesure pas en nombre d’écoles ou en km d’autoroutes, mais en montagnes de cadavres et en hectolitres d’hémoglobine. Quand la barbarie en arrive à ce point, on ne juge pas, on s’indigne si jamais on en a encore la force.

Si nos dirigeants étaient de bonne foi, s’ils avaient le moindre souci de l’intérêt général, si la paix civile et la cohésion nationale avaient un sens pour eux, ils se seraient inspirés des tribunaux « Vérité et Réconciliation » de l’Afrique du Sud post-apartheid ou des gacacas du Rwanda. Tout suspect qui avouerait ses crimes serait immédiatement amnistié. Seuls ceux qui garderaient le silence seraient passibles de poursuites. L’ensemble des aveux serait gardé secret pendant quarante ans pour éviter toutes velléités de représailles. Le recours à un jury d’honneur ferait d’une pierre, deux coups : la réconciliation des cœurs et la sauvegarde de la mémoire nationale.

Tierno Monénembo

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