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De Conakry à Bamako: sur la piste d’un obscur convoi militaire russe

La cellule Info Vérif de RFI s’est penchée sur l’acheminement au Mali d’une importante quantité de matériels militaires terrestres d’origine russe. Cette livraison dans la ville de Bamako remonte au 17 janvier 2025. Nous sommes aujourd’hui en mesure de confirmer le passage de ce convoi sur les routes guinéennes, grâce à des photos satellites obtenues en exclusivité. RFI s’est procurée ces clichés auprès de l’entreprise nord-américaine Maxar, spécialisée dans la fabrication de satellites, et l’observation de la Terre.

Les images satellites montrent une importante file de véhicules militaires. Sur les photographies, on peut distinguer des véhicules peints en vert, des poids lourds ainsi que des porte-chars. De toute évidence, la localisation fournie par Maxar indique qu’un convoi militaire a été photographié le 14 janvier 2025, sur la RN1, à hauteur de Tabili, une localité située à 75 km de Conakry en direction du Mali. Jusqu’alors, le quotidien Le Monde citait « des sources sécuritaires occidentales » évoquant le passage de ce convoi russe sur le sol guinéen. Certains utilisateurs d’internet parlaient par ailleurs d’un convoi venant de Syrie.

Des sources locales, contactées par RFI, rappellent que « depuis longtemps, le matériel lourd à destination du Mali transite par le port de Conakry ». Ainsi, un précédent convoi beaucoup plus modeste avait été filmé en 2023, en Guinée, mais cette fois-ci, nous ne sommes pas parvenus à retrouver des vidéos amateurs sur les réseaux sociaux permettant de documenter le passage de ces véhicules. Désormais, les vues aériennes proposées par Maxar ne laissent guère de doute.

Deux cargos suspects à Conakry

En remontant la piste du convoi, nous nous sommes intéressés à l’activité dans le port de commerce de Conakry, considéré comme le point d’entrée de ce matériel russe à destination du Mali. En passant en revue les outils de tracking de navires, ainsi que différents posts sur le sujet via les réseaux sociaux, deux navires ont attiré notre attention. L’Adler et le Siyanie Severa.

Ces deux cargos, battant pavillon russe et placés sous sanctions européennes et américaines, sont partis en décembre du grand port militaire de Mourmansk, en Russie. Les informations AIS (Automatic Identification System) des navires, compilées et relayées par les sites de tracking maritime comme Vessel Finder et Marine Traffic, permettent de suivre en temps réel les mouvements des navires dans le monde entier. Si on s’en réfère aux informations librement accessibles, on s’aperçoit que l’Adler était dans le port de Conakry entre le 7 et le 12 janvier dernier, et que le Siyanie Severa avait accosté dans la capitale guinéenne entre les 11 et 18 janvier.

Ces navires ont ensuite repris la mer, vers l’Algérie pour le premier, avec une escale à Oran, tandis que le second croise en Méditerranée centrale. À ce stade, la destination de ces navires n’a pas été renseignée par l’équipage.

La longue route pour Bamako

Il y a environ 990 km entre Conakry et Bamako. Il faut compter seize heures de route d’une seule traite, en véhicule léger, pour rallier la capitale malienne depuis le port guinéen. Il est très probable que tout ou partie du matériel débarqué dans le port de Conakry par ces navires ait été photographié par les satellites le 14 janvier alors que le convoi était encore à 790 km de la frontière malienne, comme en atteste la photographie que nous publions. Pour la partie guinéenne, nous pouvons déduire, que le convoi a emprunté la N1 puis la N2 et la N6, avant de cheminer par la RN5 après le passage de la frontière malienne.

Le 17 janvier 2025, en direct sur Facebook, un convoi d’une centaine de véhicules d’origine russe apparaît dans les rues de Bamako. « Vive les Fama ! Vive les Forces armées maliennes », hurle le commentateur dans son micro. « Assimi Goïta vient de donner le plus beau cadeau pour 2025, une année qui sera décisive pour les Fama (…) Très mauvaise nouvelle pour les ennemis de l’État et les ennemis des Fama », peut-on l’entendre dire.

Des doutes sur le destinataire final

L’arrivée de ce convoi surprend les observateurs. Durant une demi-heure, on dénombre une centaine de véhicules dont certains blindés très récents comme les MRAP Spartak, conçus pour résister aux mines artisanales. Ces 4×4 blindés ont été présentés pour la première fois en 2019 et utilisés par les forces spéciales russes en Ukraine. C’est la première fois que leur présence est documentée au Mali. Ces blindés n’ont pas de plaques d’immatriculation visible. Une autre version du Spartak apparaît à l’écran équipé d’un canon automatique de 57 mm.

Nous avons montré ces images au spécialiste français Yann Boivin, créateur et animateur du site @blablachars. Il précise que « ce modèle a été présenté par la société Almaz-Antey au dernier salon de l’armement russe forum Army 2024 ». Il ajoute : « Pour ce défilé, je suis assez circonspect au vu de la nature et de la provenance des engins. La nature des engins montre que l’on est assez loin des habituelles livraisons russes en Afrique, ce qui me laisse penser que des équipages russes accompagnent ces engins ».

Le déploiement de ces nouveaux moyens « contrarie quelque peu la thèse selon laquelle la Russie serait à court de moyens blindés, puisqu’elle en envoie en Afrique (…) À moins que cette démarche ne vise à créer un nouveau foyer de tension en renforçant de façon substantielle les moyens de Moscou dans la région », conclut cet expert des blindés, consultant au sein du cabinet de conseil AFV.

Dans la longue file de véhicules, on distingue aussi des chars lourds T72, des BMP3 et des BTR82 bien connus dans l’arsenal russe, mais ici dans des versions modernes et recouvertes d’une peinture de camouflage vert-brun plus adaptée aux théâtres centre-européens qu’aux terrains africains. Beaucoup de véhicules logistiques sont également présentés, comme les porteurs lourds blindés Kamaz 4385.

Très vite, sur Telegram, une chaîne suivant de très près les opérations russes en Syrie, publie un post en forme de mise au point : « Contrairement aux déclarations des médias maliens selon lesquelles l’équipement était destiné aux forces armées du pays, la livraison a très probablement été effectuée dans l’intérêt du “Corps africain” formé par le ministère russe de la Défense ». D’autres comptes proches de la nébuleuse Wagner publient des contenus à la tonalité comparable.

RFI