Un ex-détenu accueilli en héros, un passé qui dérange, et une fortune toujours aussi mystérieuse… Enquête sur un retour qui fait jaser.
Le héros malgré lui
Mohamed Touré, fils du « père de l’indépendance » guinéenne, Sékou Touré, est de retour à Conakry après avoir passé près de sept ans derrière les barreaux américains. Son crime ? Lui et son épouse ont réduit en esclavage une jeune fille guinéenne pendant plusieurs années dans leur maison au Texas. Une condamnation qui aurait dû marquer la fin d’un destin, mais que nenni ! En Guinée, c’est presque en héros qu’il est accueilli, sous l’œil bienveillant du régime.
Car oui, quand on s’appelle Touré et qu’on descend du « Guide Suprême », les casseroles judiciaires semblent se transformer en médailles du mérite. Mais revenons aux faits.
Esclavage domestique et procès retentissant
Nous sommes en 2019. Un tribunal texan condamne Mohamed Touré et son épouse, Denise Cross-Touré, à sept ans de prison. Motif ? Travail forcé, violences physiques et psychologiques sur une enfant guinéenne amenée aux États-Unis à bas âge. Elle devait tout faire : ménage, cuisine, lessive… pendant que les enfants Touré allaient tranquillement à l’école et profitaient du confort du foyer familial.
Le procureur américain a été sans pitié : la jeune fille était séquestrée, battue, privée d’éducation et de tout contact extérieur. Un esclavage moderne sous les dorures de l’American Dream. Verdict : sept ans ferme, 288 620 dollars d’amende. Pas cher payé pour des sévices et de la servitude.
Mais si la condamnation est claire, les mystères financiers du couple, eux, ne le sont pas.
Une fortune sans métier, un héritage encombrant
Car Mohamed Touré, en bon fils de président, semble avoir appris une chose: savoir d’où vient l’argent est un luxe inutile. Officiellement, il ne travaille pas aux États-Unis. Et pourtant, il déclare au fisc américain un revenu annuel de 200 000 dollars. Mieux encore, les enquêteurs ont trouvé des « dépôts massifs » venant de l’étranger. Un sujet traité (Voir lien), à l’époque, par des médias tels que Guineenews.org ou la BBC.
Le mystère des milliards de Mohamed Touré, fils du premier président guinéen.
Alors, d’où vient cet argent ? Une vieille cagnotte secrète de feu Sékou ? Des soutiens politiques discrets ? Des affaires florissantes dont personne ne connaît la nature ? Mystère total.
En Guinée, on murmure que Mohamed Touré bénéficierait toujours d’un réseau influent, bien décidé à lui assurer une rente confortable. Mais si la fortune est obscure, le retour, lui, est éclatant.
Un retour triomphal, une mise en scène politique et mensonge d’État
Conakry, le 8 février 2025. Mohamed Touré pose le pied sur le tarmac de l’aéroport. Évidemment sans son épouse. Une simple affaire de retour au pays pour un ex-détenu ? Pas du tout. Accueil officiel, discours, comité d’honneur… On dirait presque qu’un chef d’État vient d’être libéré d’une prison injuste.
Mais pourquoi tout ce cirque ? Parce que le CNRD (la junte au pouvoir) cherche désespérément à masquer son bilan mitigé. Quoi de mieux qu’un « grand retour » pour déranger la galerie ?
Et patatras, Mohamed Touré déclare devant les caméras de notre Radio Télé Guidon que sa libération est « le résultat d’un forcing politique ». De quel poids politique un gouvernement putschiste peut-il peser pour forcer la main au gouvernement américain de s’insérer dans le processus judiciaire aux États-Unis ? Surtout que le couple Touré, condamné pour un crime si grave, n’était ni prisonnier politique ni l’otage d’un groupe criminel. Une de nos sources qui connaît bien le dossier est formelle.
« En pareil cas, il n’y a pas d’amende à payer quand on finit de purger sa peine. Ni de « frais d’avocats » car le procès est fini. Cela a tout l’air d’une arnaque pour soutirer de l’argent. »
La même source nous précise d’ailleurs que le compte bancaire et la maison de Dallas de Monsieur Touré ont été saisis pour, entre autres, « acquisition de biens illicites » et pour payer des dommages au civil à la victime.
Avant de conclure en ces termes : « Il n’y a eu aucune « pression » guinéenne. C’est la procédure régulière. On purge sa peine et si on n’est pas citoyen américain, on est expulsé. »
Maintenant, pour une question de transparence, ceux qui nous ont affirmé que si Mohamed Touré est libre aujourd’hui, c’est aussi parce que l’amende de 300 000 dollars exigée par la justice américaine a été payée, doivent montrer les preuves. Sinon, notre Général autoproclamé, qui a tant insisté pour qu’on lui ramène son frère Mohamed Touré, doit simplement réclamer son argent. Du moins, cette coquette somme pourrait servir à la construction de quelques salles de classe à la place des écoles-hangars.
Quel avenir politique pour le secrétaire général du PDG ?
Alors, que va faire Mohamed Touré en Guinée ? Retourner à la politique et tenter de redonner du lustre au vieux Parti Démocratique de Guinée (PDG) de son père ? Jouer la carte du businessman ? Ou simplement profiter d’une retraite dorée sous la protection du pouvoir ?
Une chose est sûre : malgré les efforts du régime pour blanchir son image, l’affaire reste un énorme caillou dans la chaussure du CNRD. Car si certaines nostalgiques de l’ère Sékou Touré le voient comme un martyr du « complot occidental », les victimes du Premier Régime et les organisations de défense des droits humains, elles, ne comptent pas oublier en attendant qu’il y ait un véritable forum de vérité, justice et réconciliation pour les crimes commis sous les régimes guinéens.
Au final : un symbole gênant
L’affaire Mohamed Touré, c’est tout sauf un simple fait divers. C’est le miroir des contradictions de la Guinée : une justice à double vitesse, un pouvoir obsédé par son image et une mémoire collective toujours déchirée entre le mythe Sékou Touré et la réalité de son régime.
Au final, le fils du dictateur revient, libre, et célébré par les nostalgiques d’une autre époque, tandis qu’un régime autoritaire est en quête de popularité. Pendant ce temps, la jeune fille qu’ils (Monsieur Touré et Madame) ont exploitée tente de reconstruire sa vie dans l’anonymat. Aucune once de compassion envers elle. Dire que son père, le président, a été un fervent défenseur des opprimés. Comme un triste résumé des inégalités qui gangrènent encore la Guinée.
Oumar Kateb Yacine Analyste-Consultant Géopolitique
Contact: bahoumaryacine777@gmail.com