Conakry, 14 mars 2025 – Un vent de plomb s’abat sur la Guinée. Sous couvert d’une évaluation administrative, la junte au pouvoir a franchi un cap décisif dans sa marche implacable vers l’absolutisme. Vingt-sept partis politiques dissous, vingt-huit autres suspendus, parmi eux les plus influents du pays – le RPG Arc-en-ciel, l’UFR de Sidya Touré – condamnés au silence pour trois mois. Le couperet est tombé sans trembler, tranchant d’un geste sec les derniers lambeaux d’un pluralisme déjà exsangue.
La démocratie guinéenne n’est plus qu’un mirage, une ombre projetée sur les murs d’une cellule où l’on enferme les voix discordantes. Face à ce funeste spectacle, le peuple regarde, hagard, pris dans l’étau d’une fatalité qu’il n’ose plus contester. Mais jusqu’à quand ? Jusqu’au jour où l’un d’eux, un père, un fils, une sœur, tombera sous les balles d’un pouvoir ivre de sa propre impunité. Alors viendra l’heure où le silence se brisera sous la clameur d’un peuple trop longtemps bafoué.
Un pays sous scellés
Derrière le vernis bureaucratique de cette “évaluation”, c’est une mise à mort politique qui s’opère. Le régime a pris soin d’envelopper sa besogne d’une rhétorique administrative : 75 partis sont épargnés, 24 autres placés sous “réserve”, sommés de corriger en 45 jours ce que le pouvoir considère comme des irrégularités. Comme si la démocratie se gérait à coups de délais et de formulaires, comme si le droit à l’opposition pouvait être soumis à validation par ceux qui en sont la cible.
En vérité, la junte est en train d’assécher méthodiquement le terrain politique, ne laissant derrière elle qu’un désert où seul résonnera l’écho de sa propre voix. Chaque dissidence écartée, chaque contestation étouffée rapproche le pays d’un régime monolithique où l’opinion n’a plus d’autre choix que de se taire ou de disparaître.
L’engrenage de la peur
Dans les rues de Conakry et au-delà, l’inquiétude s’infiltre dans les esprits comme une brume épaisse. Chacun sait ce que cela signifie : quand on élimine les partis, on muselle les débats ; quand on muselle les débats, on criminalise la pensée ; et quand la pensée devient un crime, il ne reste que la terreur pour gouverner.
L’autocensure deviendra la règle, la défiance l’ultime refuge. Car ici, tout porte à croire que la répression ne s’arrêtera pas aux cadres des partis. Déjà, les journalistes, les activistes et les citoyens engagés sentent peser sur eux une menace sourde. Aujourd’hui, ce sont les formations politiques qui tombent. Demain, ce seront les médias, les intellectuels, et après-demain, n’importe qui osant murmurer une vérité inconvenante.
L’inévitable basculement
Mais en écrasant toute opposition, le régime ne fait que creuser le lit de sa propre chute. L’histoire est une maîtresse inflexible : partout où un pouvoir s’est cru invincible, il a fini balayé par la colère des peuples qu’il opprimait. Lorsqu’il ne reste plus de tribunes pour contester, la rue devient l’ultime parlement. Lorsqu’il n’existe plus d’alternative pacifique, la violence se fait réponse.
Aujourd’hui, les Guinéens endurent, encaissent, baissent les yeux. Mais demain ? Demain viendra l’éveil, et avec lui, l’heure des comptes. Car on ne peut éternellement gouverner par la peur sans provoquer, un jour, la déflagration qui emportera tout sur son passage.
La Guinée s’avance sur un fil, tendu entre la résignation et l’explosion. Et lorsque le point de non-retour sera atteint, lorsque le premier sang coulera sans conséquence, il ne restera plus qu’un pays en flammes et des regrets que personne ne pourra effacer.
Aboubacar Fofana, chroniqueur