On croyait la page tournée. On espérait, sincèrement, que les démons du passé s’étaient enfin tus, que les vieilles pratiques d’oppression et d’arbitraire n’étaient plus que de mauvais souvenirs consignés dans les livres d’histoire. On se prenait même à croire que les sacrifices de générations entières — militants, journalistes, syndicalistes, simples citoyens — n’avaient pas été vains. Que la Guinée avait franchi un seuil. Qu’on pouvait désormais respirer librement, critiquer sans trembler, rêver à voix haute.
Le reour de vieux démons
Mais l’histoire a ceci de cruel : elle bégaie, surtout quand les leçons ne sont pas retenues.
Aujourd’hui, la Guinée replonge. À grandes enjambées. Et ceux qui prétendent la gouverner, par la force des armes et non par la légitimité populaire, n’ont même plus la décence de maquiller leur entreprise de démolition. Le masque est tombé, et ce qu’on voit désormais, c’est un visage dur, fermé, carnassier. Un pouvoir qui mord, qui traque, qui frappe. Un régime qui ne gouverne que par laforce: il musèle, il écrase, il humilie.
Une répression sans fard
Le Conseil National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), dans une frénésie autoritaire à peine déguisée, a méthodiquement cadenassé l’espace public. Les arrestations arbitraires se suivent et se ressemblent : des opposants, des journalistes, des figures de la société civile, parfois même des anonymes, happés par une machine répressive aveugle et sourde. Les médias indépendants sont réduits au silence, les antennes coupées, les studios vidés, les rédactions bâillonnées. Il ne reste plus que les voix officielles — monocordes, obséquieuses, autorisées.
Autrefois, au moins, on pouvait discuter, s’engueuler sur les plateaux télé, ruer dans les brancards. Il y avait un semblant d’espace, un petit trou d’aération dans le couvercle. Mais aujourd’hui ? Plus rien. Le couvercle est vissé. Ceux qui critiquent s’exilent ou se taisent. Ceux qui restent rasent les murs. La justice, elle, a troqué sa balance pour un sabre : on juge à la tête du client, surtout s’il pense.
On pourrait en rire, si ce n’était pas à pleurer. Car ce qui se joue ici, ce n’est pas une crise politique de plus, un petit caprice de soldat mal luné. Non, c’est la démocratie qu’on étrangle, c’est la liberté qu’on fusille en plein jour. Et tout le monde le voit, tout le monde le sait — mais beaucoup se taisent. Parce que la peur est un poison lent mais efficace. Elle s’installe dans les conversations, dans les regards, dans les silences trop longs. Elle pousse les plumes à trembler, les micros à se taire, les consciences à dormir.
Là où hier encore, le débat faisait rage, aujourd’hui règne un silence pesant. L’espace d’expression se rétracte comme une peau de chagrin. Le moindre mot de travers peut valoir un mandat d’arrêt. La moindre critique devient une trahison. La moindre indignation est taxée d’incitation. Le régime a fait de la peur un outil de gestion quotidienne, un poison lentement distillé dans l’esprit des citoyens.
Et pourtant, ce qui se passe n’a rien d’exceptionnel. C’est le schéma classique des pouvoirs illégitimes : refuser la contradiction, étouffer la diversité des voix, criminaliser l’opposition. À défaut d’être aimés, ils veulent être craints. À défaut de convaincre, ils imposent.
Quand le silence annonce la colère
Ce verrouillage du débat public n’est pas seulement une stratégie politique : c’est un drame national. Une démocratie qui ne respire plus meurt à petit feu. Une société qui vit dans la peur se fane. Et quand les intellectuels, les artistes, les journalistes, les simples citoyens n’ont plus le droit d’interroger, de contester, de proposer, c’est tout un pays qui se vide de sa substance, qui s’effondre de l’intérieur.
Et pendant ce temps, les ténors du régime paradent. Ils promettent, ils rassurent, ils justifient. Ils parlent de sécurité, de stabilité, de refondation. Mais que vaut la stabilité sans justice ? Que vaut la sécurité sans liberté ? Et que vaut une refondation qui commence par le démantèlement de toutes les conquêtes démocratiques ?
La Guinée n’est pas un territoire à dompter. C’est une nation vivante, complexe, diverse, fière. Son peuple n’est pas un troupeau qu’on mène à la cravache. C’est une conscience collective, vibrante, exigeante. Et cette conscience, aujourd’hui, hurle en silence.
Mais tout n’est pas perdu. Car si le pouvoir a les armes, le peuple a la mémoire. Il sait d’où il vient. Il se souvient de ses combats. Et tôt ou tard, cette mémoire se transformera en résistance.
Oui, la peur a gagné du terrain. Oui, l’espace est étroit. Oui, beaucoup se taisent. Mais un peuple qui se tait n’est pas un peuple vaincu. C’est un peuple en suspens. Et l’histoire montre que le souffle finit toujours par revenir. Qu’un jour, la parole revient. Plus forte, plus libre, plus dangereuse pour ceux qui pensaient l’avoir étouffée.
Le silence n’est pas la fin. C’est le début d’une révolte en soi..
Oumar Kateb Yacine Analyste-Consultant Géopolitique
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