Le temps, tel un fluide en écoulement libre, s’infiltre dans les fissures d’une transition sans fin, érodant les fondations déjà fragilisées d’un État sans charpente ni plan directeur. D’un point de vue d’ingénieur, ce que nous vivons n’est rien d’autre qu’un effondrement progressif, une ruine silencieuse causée non par la fatalité des matériaux, mais par la démission de la conscience collective. Une instabilité généralisée s’est emparée du système, et pourtant, l’alarme ne sonne pas.
Le peuple qui devrait être le maître d’ouvrage de sa propre destinée, s’est retiré du chantier. Il applaudit les échafaudages précaires dressés par une junte qui construit sans calculs, bâtit sans plans, et bétonne la tyrannie avec la docilité des foules. Chaque jour, les colonnes de la dignité humaine sont sapées, les poutres de la justice tordues, et les ancrages de l’espérance arrachés. Les quelques résistants, ingénieurs de l’éveil, sont réduits au silence, isolés, parfois même détruits, comme s’ils portaient la faute d’avoir tenté d’évaluer les charges critiques d’une dictature déguisée en gouvernance.
Pendant ce temps, la structure nationale s’affaisse : L’économie vibre en fréquence de résonance, au bord de la rupture. Les hôpitaux, sous-dimensionnés, ne résistent plus aux sollicitations vitales. Les écoles, devenues ruines pédagogiques, ne supportent plus la moindre surcharge d’aspiration. Les routes, véritables lignes de fracture, cèdent au moindre choc.
Et les agents de l’État, comme des pièces détachées d’un système à l’arrêt, attendent des mois pour être réalimentés en énergie (leur salaire).
Mais au lieu de renforcer les fondations, on peint les murs. Au lieu de recalculer les charges de la transition, on organise des immersions folkloriques, des simulacres d’écoute où les rapports de terrain ne servent qu’à enjoliver l’effondrement. Tout le monde participe à cette falsification : les experts se taisent, les intellectuels s’agenouillent, les cadres deviennent les ingénieurs de la soumission, aidant la junte à couler sa dictature dans le béton armé du silence populaire.
Il faut le dire clairement : ce pays est en déséquilibre structurel. Et aucun enduit de propagande ne pourra masquer la corrosion profonde de ses piliers.
L’ingénieur tire la sonnette d’alarme. Il est temps de redéfinir la charge admissible de cette nation. Il est temps de recalculer les efforts, de réviser les plans, de renforcer les nœuds critiques de notre société — et surtout, d’évacuer les charges mortes que sont l’oppression, la manipulation, la corruption.
Un peuple qui dort sous une charpente pourrie finira par être écrasé. Un peuple qui ne fait pas l’analyse de ses contraintes vivra à jamais dans l’instabilité.
Il est temps de concevoir, ensemble, une nouvelle architecture sociale. Une architecture de justice, de liberté et de dignité, posée sur les fondations inébranlables de la conscience éclairée.
Il est temps de reconstruire la Nation.
Aboubacar Fofana, chroniqueur