Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a été mis en examen vendredi pour prise illégale d’intérêts par les magistrats de la Cour de la justice de la République chargés d’enquêter sur de possibles conflits d’intérêts avec ses anciennes activités de pénaliste. Face aux appels à la démission, le Premier ministre Jean Castex lui a renouvelé « toute sa confiance ».
Cette mise en examen est inédite pour un ministre de la Justice en exercice. À l’issue d’un interrogatoire de près de six heures à la Cour de justice de la République (CJR), le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a été mis en examen, vendredi 16 juillet, dans le cadre d’une enquête sur de possibles conflits d’intérêts avec ses anciennes activités d’avocat.
Le garde des Sceaux conserve toutefois « toute la confiance » de Jean Castex. « Le Premier ministre lui renouvelle toute sa confiance et lui demande de poursuivre l’action de réforme et de confortement des moyens accordés au service public de la Justice », a réagi Matignon dans un communiqué, peu après l’annonce de cette mise en examen.
À l’issue de près de six heures d’interrogatoire par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République – seule juridiction habilitée à poursuivre et juger des ministres pour des infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions -, Éric Dupond-Moretti a été mis en examen pour prise illégale d’intérêts, sans contrôle judiciaire.
« Cette mise en examen était clairement annoncée. (…) Ses explications n’ont malheureusement pas suffi à renverser cette décision prise avant l’audition. Nous allons évidemment désormais contester cette mise en examen », via « une requête en nullité », a déclaré l’un des trois avocats du garde des Sceaux, Me Christophe Ingrain.
Cette mise en examen signifie que les magistrats ont estimé avoir réuni des indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation du ministre à l’infraction de prise illégale d’intérêts. Un renvoi ou non en procès ne sera décidé qu’à la fin des investigations.
Deux dossiers à l’étude
Dans cette affaire, le ministre est soupçonné d’avoir profité de sa fonction pour régler ses comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir quand il était avocat, ce qu’il réfute.
La CJR a ouvert en janvier une information judiciaire pour « prise illégale d’intérêts » après les plaintes de syndicats de magistrats et de l’association Anticor dénonçant des situations de conflits d’intérêts dans deux dossiers.
Le premier concerne l’enquête administrative ordonnée en septembre par le garde des Sceaux contre trois magistrats du parquet national financier (PNF) qui ont fait éplucher ses relevés téléphoniques détaillés (« fadettes ») quand il était encore une star des prétoires.
Le PNF cherchait alors à débusquer une « taupe » ayant pu informer Nicolas Sarkozy et son conseil Thierry Herzog – un ami d’Éric Dupond-Moretti – qu’ils étaient sur écoute dans l’affaire de corruption dite « Bismuth », qui a valu en mars une condamnation historique à l’ex-chef de l’État.
Vilipendant les « méthodes de barbouzes » du parquet anticorruption, Éric Dupond-Moretti avait déposé une plainte, avant de la retirer au soir de sa nomination comme garde des Sceaux, le 6 juillet 2020.
Dans le second dossier, il lui est reproché d’avoir diligenté des poursuites administratives contre un ancien juge d’instruction détaché à Monaco, Édouard Levrault, qui avait mis en examen un de ses ex-clients et dont il avait critiqué les méthodes de « cow-boy » après que ce magistrat a pris la parole dans un reportage.
Éric Dupond-Moretti s’est toujours défendu de toute prise illégale d’intérêts, martelant qu’il n’a fait que « suivre les recommandations » de son administration.
Appels à la démission
Les potentiels conflits d’intérêts du nouveau garde des Sceaux, soulevés dès son arrivée à la Chancellerie par les syndicats de magistrats, avaient finalement conduit fin octobre à l’écarter du suivi de ses anciennes affaires, désormais sous le contrôle de Matignon.
Éric Dupond-Moretti accuse ces mêmes syndicats de « manœuvres politiques » afin « d’obtenir un nouveau garde des Sceaux ».
Le ministre « s’est placé lui-même dans une situation de conflit d’intérêts qu’il aurait pu éviter et dont il avait connaissance », a rétorqué Me Christophe Clerc, avocat de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) et du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche), à l’origine d’une des plaintes contre Éric Dupond-Moretti.
« L’infraction de prise illégale d’intérêts est très grave dès lors qu’elle implique que des intérêts personnels du ministre auraient guidé l’action du ministère et non les intérêts de la Nation », a réagi la présidente d’Anticor, Elise Van Beneden, jugeant que « la question du maintien d’Éric Dupond-Moretti au gouvernement mérite d’être posée » après cette mise en examen.
Le garde des Sceaux a reçu le soutien mardi en conseil des ministres du chef de l’État, mais certains dans les rangs de l’opposition ont rappelé la promesse faite en mars 2017 par Emmanuel Macron lorsqu’il était candidat à la présidentielle : « Un ministre doit quitter le gouvernement s’il est mis en examen. »
Le ministre de la Justice « ne peut tout simplement pas rester au gouvernement », a tweeté le secrétaire national d’EELV, Julien Bayou. Les sénateurs PS ont également appelé à sa démission sur le réseau social.
« Malgré mon inimitié et le sentiment qu'(Éric Dupond-Moretti) nuit à la Justice, il n’en est pas moins présumé innocent comme n’importe quel justiciable devrait l’être », a estimé de son côté l’eurodéputé RN Gilbert Collard.
Interrogé vendredi à Lourdes, le président de la République a renvoyé à ses déclarations de la veille, dans lesquelles il défendait la « présomption d’innocence » du ministre et se posait en « garant de l’indépendance de la justice ».
France24 avec AFP
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