Information libre et instantanée

Nigéria : les députés spolient le peuple au nom de la loi

144

En juin 2018, un sénateur nigérian, Shehu Sani, était offusqué de l’indemnité mensuelle scandaleuse des membres du Sénat nigérian. Alors que chaque sénateur nigérian gagne 162 millions Naira (450 000 dollars) par an en indemnités plus 9 millions de naira (25 000 dollars) en salaire de base, le président américain, par exemple, ne gagne que 450 000 dollars par an. Comment expliquer cela ?

La controverse suscitée par la divulgation de Shehu n’a duré que peu de temps, malgré la démesure manifeste de l’indemnisation des sénateurs. Depuis longtemps, plusieurs d’entre eux sont soupçonnés de consacrer cet argent à des campagnes politiques. L’attrait financier a fait émerger une forte cooptation et un opportunisme politique nocifs. Tant que les procédures d’élection des législateurs ne seront pas modifiées, la violence électorale, la corruption et la mauvaise administration continueront d’affaiblir la démocratie du Nigéria.

Des dépenses de campagne inappropriées

Les politiciens nigérians dépensent beaucoup pour les campagnes politiques. La plupart – sinon toutes les campagnes – ne comportent pas de programme réalisable et ignorent les vrais problèmes auxquels les électeurs sont confrontés. Au lieu de cela on assiste à des campagnes de diffamation honteuses des candidats de l’opposition et de leurs partis. Ils investissent tous beaucoup d’argent dans la corruption des dirigeants locaux et des électeurs influents, convaincus que grâce à leur fonction ils auront suffisamment de retour sur investissement. Pour ces politiciens, c’est un placement financier comme les autres. Même si l’article 91 (4) de la loi électorale (2010) stipule que «le montant maximal des dépenses électorales à engager pour un siège de sénateur par candidat à une élection à l’Assemblée nationale est de 40 millions de nairas, alors que pour un député de la Chambre des représentants ne dépassera pas 20 millions de naira », les aspirants dépassent allégrement ces chiffres.

Les auteurs d’infractions n’ont pas été sanctionnés de manière appropriée et la Commission électorale nationale indépendante (INEC) n’a pas non plus pris de mesures dissuasives pour lutter contre cette violation, qui est étroitement liée à la violence électorale. Bien que l’INEC ait le pouvoir de quasiment légiférer pour atteindre ses objectifs, elle n’a pas le pouvoir de punir les dépenses extravagantes pendant les campagnes. La Commission des crimes économiques et financiers est un organisme tout aussi compétent qui pourrait être autorisé à poursuivre ces auteurs mais l’intégrité de l’agence est même discutable.

Pillage et cooptation

Une fois élus, ces parlementaires ne rentrent pas seulement chez eux avec un gros salaire, mais en plus ils ont de magnifiques occasions de détourner des ressources nationales à différents niveaux de commissions en raison du manque de transparence avec lequel l’Assemblée nationale fonctionne. Ils se concentrent sur leurs intérêts personnels au détriment de ceux de leurs électeurs, et le pouvoir judiciaire ou le pouvoir exécutif ne surveille que très peu leurs activités financières. C’est pourquoi ils font tout pour se faire élire. Le Nigéria doit commencer par rendre les mandats politiques moins attrayants. Réduire de moitié les indemnités et les salaires de ces législateurs devrait être la première étape. Cela dissuadera les futurs candidats de dépenser tellement pour les élections.

Face au désir désespéré de conserver le pouvoir à tout prix, les législateurs nigérians ont maintenant recours à des parrains dont ils dépendent financièrement pour faciliter leur victoire. Les activités présumées du parrain du sénateur Godswill Akpabio dans l’État riche en pétrole d’Akwa-Ibom en sont un exemple. La conséquence, bien sûr, en est le pillage massif du Trésor Public pour récompenser le soutien du parrain après avoir remporté les élections. Ce type de parrainage a créé une chaîne de corruption qui semble désormais
insoluble, d’autant qu’il prend des racines dangereuses dans la politique locale.

La transparence devient difficile

Le Sénat nigérian a beaucoup de pouvoir pour légiférer en fonction de ses intérêts personnels. Lorsque l’exécutif ne coopère pas en vertu du paragraphe 58 (5), la Constitution nigériane autorise les législateurs à adopter de nouveau un projet de loi rejeté par le président, et avec une majorité des deux tiers, le Sénat peut alors adopter ce projet de loi. Malgré des appels à plus de transparence adressés à l’Assemblée nationale, les législateurs ont refusé toute requête. Sans les révélations du sénateur Sani, les Nigérians ne vivraient que dans la spéculation sur le salaire réel de leurs représentants élus.

Les politiciens nigérians se préoccupent peu des coûts qu’ils infligent au service public, alors qu’environ 87 millions des 190 millions de citoyens vivent dans l’extrême pauvreté. L’argent qui aurait pu être utilisé pour lutter contre les difficultés économiques grâce au développement des infrastructures, en particulier dans le domaine de l’éducation, est malheureusement gaspillé. Considérant que la réduction des salaires des législateurs fédéraux pourrait également avoir une incidence sur les réductions des salaires des législateurs des États et des responsables des administrations au niveau locale, cela aiderait le Nigéria à lutter contre la corruption. Les économies réalisées grâce pourraient être réaffectées aux infrastructures.

Akinyemi, Muhammed Adedeji, analyste pour Africanliberty.org.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

 

Les commentaires sont fermés.