En Guinée, le procès du massacre du 28 septembre 2009 reprend ce lundi 9 janvier. Celui qui dirigeait la junte à l’époque, Moussa Dadis Camara, doit revenir à la barre. Quel bilan faire de ses premières prises de parole ? Sa ligne de défense a-t-elle réussi à convaincre ? Y voit-on d’ores et déjà plus clair sur ceux qui ont donné les ordres ? Entretien avec Halimatou Camara, l’une des avocates de la partie civile et défenseure des droits de l’homme.
RFI : Qu’est-ce que vous retenez de la ligne de défense qui a été adoptée jusqu’ici par Moussa Dadis Camara ?
Halimatou Camara : Bon, la ligne de défense de Monsieur Moussa Dadis Camara se résume au fait qu’il n’était responsable de rien et qu’il n’était au courant de rien de ce qui est arrivé. Ça parait incroyable. Il a le droit d’avoir la ligne de défense qu’il souhaite, mais nous, nous sommes dans l’optique de démontrer le contraire.
Moussa Dadis Camara rejette la responsabilité sur son aide de camp, Toumba Diakité, et sur son ministre de la Défense de l’époque, le général Sékouba Konaté…
En fait, cette thèse-là, est celle qu’il développe actuellement. Elle est difficile à faire prospérer parce que les événements du stade se sont déroulés dans un contexte où le président Dadis Camara a eu à faire une déclaration après les événements du stade, dans la soirée-même des événements. Quand il dit qu’il n’était au courant de rien, c’est difficile à établir. Les exactions se sont poursuivies des jours après. On a continué à piller des quartiers qui étaient le fief de l’opposition. On s’est attaqué à des blessés, à des femmes violées dans des hôpitaux. Il y a eu des cas de disparitions forcées durant les jours qui ont suivi les événements du stade.
Ce que vous dites, c’est que la poursuite des violences après le 28 septembre rend plus fragile la thèse de Moussa Dadis Camara, c’est cela ?
Oui, ça fragilise complètement sa thèse. Pourquoi, à ce moment-là, quand il s’est rendu compte qu’il ne détenait pas les rênes du pouvoir, pourquoi n’a-t-il pas démissionné ? Il a continué à dire qu’il était le président de la République, et qu’il était d’ailleurs le père de la nation. C’est un homme qui dit être patriote, c’est quelqu’un qui dit qu’il a une certaine probité morale… il est temps que le capitaine Moussa Dadis Camara assume ses responsabilités. S’il ne les assume pas, je pense que la justice, elle, fera tout son travail, et d’ailleurs elle est en train de faire son travail.
Qu’est-ce que vous cherchez à démontrer en tant que partie civile ?
Nous cherchons à démontrer d’abord le contexte des événements du stade. Nous avions à l’époque un homme politique, qui était certes militaire, mais qui voulait par tous les moyens rester au pouvoir. Avant d’ailleurs les violences, il y avait déjà une thèse qui courait, c’était « Moussa Dadis Camara ou la mort ». Surtout qu’en réalité, en Guinée, nous étions aussi dans un contexte d’impunité totale. Les cinquante dernières années avant les événements du stade, aucun acte criminel commis par l’Etat ou par les forces de défense et de sécurité n’avait été jugé. Donc, il était à l’époque loisible pour Moussa Dadis Camara et tous les membres du CNDD à l’époque de se dire qu’ils pouvaient commettre tout ce qu’ils voulaient et qu’ils étaient au-dessus des lois. Donc ça nous avons suffisamment d’éléments pour le démontrer.
Qu’est-ce que ce procès a d’ores et déjà permis d’apprendre sur le massacre du 28 septembre ?
Ça a permis déjà de comprendre que nous étions dans un contexte où l’Etat ne fonctionnait presque pas, où la gouvernance était quasiment du pilotage à vue. C’étaient des personnes qui faisaient ce qu’elles voulaient. Elles n’étaient soumises à aucun schéma de gouvernance. Quand vous avez un ministre de la Santé qui vous dit qu’il n’a pas demandé à ce que des corps soient autopsiés, et que ce n’était pas bien grave, voilà… C’est absolument effarant. Je pense que ce procès, c’est aussi le procès de la société guinéenne, une société qui est restée longtemps en vase clos. Nous avons accepté beaucoup de choses. Comment un Etat peut-il être aussi déliquescent, pour que des hommes avec un niveau comme ceux qui sont à la barre aujourd’hui aient pu gouverner ce pays ? Ça, je pense que ce sont des questionnements que la société guinéenne elle-même devrait se poser.
Quelles sont les questions auxquelles vous souhaitez obtenir réponse dans les semaines qui viennent ?
C’est la question de qui a donné des instructions pour aller tuer au stade, mais c’est aussi la question des fosses communes… Des familles attendent depuis plus de dix ans de savoir où sont ensevelis leurs proches, on espère vraiment trouver des réponses. Mais aussi sur toute la chaîne de commandement, tous ceux qui ont participé à la commission de ce crime, il serait important qu’on ait un peu plus de lumière par rapport à ces questions-là.
Vous êtes avocate de la partie civile. Comment est-ce que les victimes du 28 septembre vivent la première phase de ce procès, et cette absence finalement de réponse sur qui a commandité les crimes ?
Elles le vivent mal d’une façon générale, elles disent être déçues, elles se demandent : est-ce que c’est ça la justice ? On leur explique que tout accusé a le droit de se taire, il a le droit de ne pas s’auto-incriminer et que c’est à nous de rapporter, que ce soit par les témoignages, que ce soit par d’autres moyens de preuve, le contraire de ce que ces accusés-là affirment aujourd’hui. Et que c’est cela aussi la procédure pénale. Et nous sommes aussi dans cet apprentissage de l’œuvre de justice dans notre pays.
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