Elle s’appelait Mariama, mais ce nom ne figurera sur aucune plaque de rue, ni dans aucun bulletin officiel. Elle avait trente ans, deux enfants, et une vie tissée d’efforts quotidiens, comme ces millions de femmes que la République oublie systématiquement au bord de ses routes défoncées. Elle est morte dans le silence d’une nuit, étranglée par un voile et trahie par un pays qui n’en a plus que le nom.
La scène s’est déroulée dans ce qu’on appelle pudiquement la “Guinée profonde”, là où le goudron hésite, où l’État vacille, et où la vie tient souvent à la générosité d’un motard de passage. Une cérémonie s’achève, la nuit tombe, la fatigue se mêle à la poussière. Une femme veut simplement rentrer chez elle. Elle grimpe à l’arrière d’une moto, faute de route, faute de transport, faute d’alternative. Le tissu qui la couvre, symbole d’honorabilité dans une société trop prompte à juger l’apparence, se prend dans les rayons d’une roue, s’enroule, serre, puis tue.
Mais ce n’est pas le voile qui est coupable. C’est l’absence de garde-boue, c’est l’absence de sensibilisation, c’est l’absence d’encadrement, c’est l’absence de tout. C’est un système entier qui fabrique ces morts absurdes, ces tragédies minuscules qu’on enterre à la va-vite entre deux communiqués rassurants. Ce n’est pas une fatalité, c’est une logique. Et cette logique a un nom : négligence structurelle.
Qui répondra aux enfants de Mariama ? Qui leur dira pourquoi leur mère n’a pas eu droit à une ambulance, à un casque, à un système de transport sécurisé ? Qui leur expliquera que dans ce pays, le tissu peut tuer plus sûrement qu’une arme, s’il rencontre la mécanique mal conçue d’un monde qui n’a pas été pensé pour les pauvres ? Qui leur racontera que leur mère est morte parce que personne ne trouvait de couteau pour la libérer à temps ? Que dans cette région, on peut mourir étranglé sans qu’aucun poste de secours ne soit à moins de vingt kilomètres ?
Et pendant ce temps, les autorités “procèdent aux constats d’usage”. Quelle ironie glaçante. On constate. On compile. On classe. Et on passe. Jusqu’au prochain corps. Jusqu’au prochain cri.
Ce drame n’est pas un simple accident. Il est l’aboutissement d’un effondrement programmé, d’un abandon méthodique, d’une injustice normalisée. Il signe la faillite d’un État incapable de garantir à ses citoyennes le droit fondamental de rentrer vivantes chez elles. Il dit l’urgence d’un réveil collectif, mais surtout institutionnel.
Assez de constats. Assez de silences. Assez de fleurs fanées sur des tombes anonymes. Il est temps que l’État cesse d’être un spectateur funèbre de ses propres tragédies. Il est temps que la République descende de ses balcons pour écouter les cris étouffés des femmes qui meurent, non pas par imprudence, mais par abandon.
Mariama n’est pas morte parce qu’elle portait un voile. Elle est morte parce qu’on l’a laissée sans protection, sans secours, sans attention. Et tant qu’on n’aura pas le courage de nommer cette vérité, d’en tirer les conséquences, d’exiger des comptes, alors d’autres Mariama tomberont. Et nous serons tous complices.
Par Aboubacar Fofana, chroniqueur