Six journalistes incarcérés depuis près de quatre mois vont comparaître pour la première fois devant la Cour d’assises d’Istanbul. Reporters sans frontières (RSF) demande leur libération immédiate et appelle les autorités turques à mettre fin aux détentions abusives de journalistes.
Six journalistes détenus depuis les 5, 6 et 8 mars dernier dans la prison de Silivri, au nord d’Istanbul, comparaîtront ce mercredi 24 juin devant la 34e chambre de la Cour d’assises d’Istanbul pour avoir publié ou partagé un article du site d’information OdaTV daté du 3 mars 2020 dévoilant les images des funérailles d’un agent des services de renseignement turc, le Millî İstihbarat Teşkilatı (MİT), tué en Libye.
Les six journalistes – Barış Terkoğlu, Hülya Kılınç, Barış Pehlivan, Murat Agirel, Mehmet Ferhat Celik et Aydin Keser – sont accusés d’avoir “divulgué des informations classées top secret quant aux intérêts politiques et la sécurité de l’Etat” et violé la loi sur les services de renseignement. Ils risquent chacun 19 ans de prison. L’audience se tiendra probablement à huis clos du fait que l’affaire est en lien avec le MIT. Dans le dossier d’accusation figurent aussi le journaliste en exil Erk Acarer et Eren Ekinci, le chargé de presse de la mairie d’Akhisar, dans la province de Manisa, où les funérailles ont eu lieu.
“Ni la critique, ni la liberté de la presse ne pourront être respectées en Turquie, tant que la justice sera à la botte du pouvoir et tant que celui-ci considérera comme une priorité l’arrestation de journalistes dans le but de dissuader les opposants, regrette le représentant de RSF en Turquie, Erol Onderoglu. Il est urgent de mettre un terme à ces détentions abusives. Les journalistes d’OdaTV et des quotidiens Yeniçağ et Yeni Yaşam n’ont rien à faire en prison, toutes les charges doivent être abandonnées contre eux. ”
Six journalistes en prison depuis quatre mois
Les journalistes Barış Terkoğlu et Hülya Kılınç, respectivement rédacteur en chef et reporter du site d’information OdaTV, ont été les premiers à être incarcérés, le 5 mars dernier, par un juge de paix d’Istanbul. Les 6 et 8 mars, quatre autres journalistes – l’éditeur en chef d’OdaTV Barış Pehlivan, l’éditorialiste du quotidien Yeniçağ Murat Agirel, le directeur de la rédaction du quotidien pro-kurde Yeni Yaşam Mehmet Ferhat Celik et son rédacteur en chef Aydin Keser – ont à leur tour été emprisonnés, pour motifs de “possibilité d’évasion” et de “détérioration des éléments à charge” après avoir pourtant répondu d’eux-mêmes à la convocation du parquet.
Les journalistes Barış Terkoglu, Barış Pehlivan et Hülya Kilinç sont poursuivis pour avoir diffusé l’article incriminé. Il est aussi reproché au reporter d’OdaTV de l’avoir rédigé après s’être procuré, via WhatsApp, les photos des funérailles et à l’éditorialiste Murat Agirel ainsi qu’au journaliste en exil Erk Acarer d’avoir été de mèche lorsqu’ils ont partagé un tweet des photos des funérailles et de l’agent.
En réalité, l’identité de l’agent était déjà connue de l’opinion publique : un porte-parole du parti d’opposition Iyi Parti d’Ümit Özdag avait mentionné son nom, le 26 février dernier, à l’Assemblée nationale, et certains
médias, dont le quotidien Yeniçağ, l’avaient diffusé. “Même après sa divulgation au parlement et sa reprise ultérieure par certains journaux, nous avons pris le soin de coder le nom de famille de l’agent en question”, a déclaré le directeur de l’information d’OdaTV Barış Pehlivan. L’article incriminé mais aussi le site d’information lui-même furent censurés respectivement le 4 et le 6 mars par les juges de paix d’Istanbul et la haute instance des télécommunications (BTK) pour motif “d’atteinte à l’ordre public par voie de dévoilement des activités du service des renseignements” (article 8, alinéa A de la loi 5651 sur l’Internet).
En 2011, Barış Terkoğlu et Barış Pehlivan avaient déjà été incarcérés pendant plus d’un an, avec les journalistes d’investigation Ahmet Şık, Nedim Şener et plusieurs collaborateurs d’OdaTV, tous victimes d’un complot orchestré par les policiers et les magistrats pour contrôler la mouvance religieuse de Fethullah Gülen.
La Turquie occupe la 154e position sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF.
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