Côte d’Ivoire : l’impact du retour de Gbagbo sur la présidentielle de 2020

L’acquittement de l’ancien Président ivoirien Laurent Gbagbo par la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert la voie à son retour en Côte d’Ivoire, une fois libéré. Son retour après sept ans de détention à La Haye, et huit ans après son arrestation liée aux troubles post électoraux de 2010, pourrait impacter l’élection présidentielle du pays en 2020.

Une influence dans l’ombre

Malgré son absence, son influence sur la politique ivoirienne a façonné les divisions de l’opposition au cours des années qui ont suivi son départ.  Notons en plus que la coalition qui a remporté les élections présidentielles de 2010 et 2015, dans la mouvance du président Alassane Ouattara, est pour l’instant mal en point avec de fortes luttes de pouvoir et un effritement.

La coalition de Ouattara étant affaiblie et l’opposition divisée, le retour de Gbagbo pourrait mettre en péril la politique de la coalition avant les élections. Ceci est d’autant plus vrai que Gbagbo continue de bénéficier d’un soutien populaire dans le pays, y compris dans sa région natale, dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Tout cela laisse penser qu’il pourrait encore bénéficier du soutien des Ivoiriens. De plus, son retour en Côte d’Ivoire confirmerait sa prétendue innocence et concrétiserait la réussite dans sa lutte contre Ouattara et les préjugés occidentaux.

Les amis et les ennemis de Gbagbo

Après son transfèrement à la Haye, le parti populaire de Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI), s’est fragmenté entre ceux qui lui étaient fidèles et ceux qui souhaitaient aller au-delà de son héritage. Aboudramane Sangaré, un ami de Gbagbo, a notamment rejeté l’idée de poursuivre le travail du parti sans lui. Sangaré et ses disciples ont estimé que Gbagbo reviendrait en Côte d’Ivoire pour contester le Président Alassane Ouattara, à l’issue de la procédure de la CPI.

Dès lors, Sangaré a obtenu le titre officieux de « gardien du temple », qui lui a permis de maintenir la place de Gbagbo au centre du FPI. Sangaré est décédé à la fin de l’année dernière sans que son empreinte ne soit effacée.

Les efforts pour dépasser l’héritage de Gbagbo ont été surtout menés par Pascal Affi N’Guessan, ancien Premier ministre de Gbagbo, qui a assumé la présidence du parti avant les élections de 2015. Cela a déclenché des protestations véhémentes de la part des partisans de Gbagbo. Bien que N’Guessan ait rendu hommage à Gbagbo, les loyalistes ont estimé qu’il n’était pas sincère. N’Guessan a été au centre d’une autre controverse lorsqu’il a décidé de se présenter à l’élection présidentielle de 2015 malgré le mot d’ordre de boycott lancé par l’autre branche du FPI. Avant l’élection, il a rencontré le président français François Hollande, ce qui a conduit les partisans de Gbagbo à soutenir qu’il recevait un soutien financier de la France ce qui n’a jamais été vérifié.

Avec un taux de participation faible de 55% (comparé à 80% en 2010), l’absence de soutien au sein du FPI éclaté, a conduit N’Guessan à obtenir un peu plus de 9% des suffrages, contre près de 84% à Ouattara. Le boycott de l’opposition et les appels à attendre le retour de Gbagbo semblaient être très forts. Depuis lors, N’Guessan a expérimenté différentes alliances politiques et ne s’est apparemment pas réconcilié avec  tous les partisans de Gbagbo.

Les options de Gbagbo

S’il revient, l’une des options pour Gbagbo serait celle de reprendre la position de porte-drapeau du FPI et de concourir à l’élection de 2020. Malgré son échec de 2010 rien ne semble l’empêcher de se présenter, surtout  que la suppression de l’âge maximum des candidats (75 ans auparavant) le rend éligible avec 74 ans en mai. Ce scénario suppose bien sûr que Ouattara n’établisse pas d’obstacles juridiques au retour de Gbagbo.

Un autre scénario est que Gbagbo pourrait guider le FPI vers une nouvelle alliance politique avant les élections. L’alliance pourrait
impliquer certains des anciens alliés malheureux de Ouattara. Un scénario connexe est que Gbagbo pourrait unir le Front populaire ivoirien et les forces de l’opposition, nommer un nouveau porte-drapeau et rester le pilier historique du parti. Enfin, Gbagbo pourrait aussi parfaitement décider de rester en marge tout en restant actif sur la scène politique.

Qu’en pensent les Ivoiriens?

Selon un sondage réalisé en 2017 par Afrobarometer, le réseau de recherche africain indépendant, les Ivoiriens soutiennent fermement (81%) le maintien de la limite à deux mandats présidentiels. Ils soutiennent également de manière écrasante la démocratie (77%). Mais ils ont quelques inquiétudes, juste avant les élections, puisque 52% d’entre eux indiquent qu’ils ne sont pas satisfaits du fonctionnement de la démocratie dans le pays.

L’une des critiques émises par l’opposition contre Ouattara est son intolérance à la contestation. 48% des Ivoiriens estiment qu’ils ne sont pas du tout – ou pas très – libres de critiquer le Président. Il est fort possible que Gbagbo capitalise sur ces mécontentements qui, allié à un fort taux de participation comme lors de l’élection de 2010, amène à une redistribution des cartes.

Abel Gbala, titulaire d’un M.A. de l’Université Félix Houphouët Boigny et expert en suivi et évaluation du développement et Peter Penar, professeur adjoint au département de science politique à l’Université du Michigan. (version élaguée)

Article publié en collaboration avec Libre Afrique