Je suis un Nègre et j’ai une âme. Une âme pure, que ne pourra jamais souiller l’affabulation de Cham véhiculée par l’Eglise catholique. Cette infamie, qui considère le Nègre comme un descendant du fils maudit de Noé condamné à l’asservissement, est, pour moi, l’expression la plus honteuse d’une negrophobie originelle. N’empêche Notre Dame de Paris m’inspire respect et admiration pour sa magnificence architecturale ; pour le courage ; la foi ; et les sacrifices consentis par les hommes qui l’ont bâtie au moyen-âge. Mais quand les politiques manœuvrent pour arrimer leur temporalité à celle de la cathédrale, ou marquer leurs empreintes sur son histoire, ils maculent Notre Dame. Et toujours à cause des politiques, Notre Dame macule à son tour la laïcité, malgré elle.
Je ne suis pas catholique, mais je suis meurtri.
Le pape Nicolas V a édicté une loi, une bulle du 8 janvier 1454, qui considère que les Nègres n’ont pas d’âme et que les européens peuvent légitimement les attaquer, les conquérir, les vaincre et les réduire perpétuellement en servitude. Par cette bulle, l’Eglise catholique bénit l’esclavage et la traite des Nègres. Et le pape Eugène IV asservit des esclaves Nègres, parmi les premiers capturés en Afrique par des portugais. Sur le linteau du portail principal de la cathédrale Notre-Dame de Paris, appelé portail du jugement dernier, il est grossièrement sculpté un Nègre sortant de sa tombe, parmi les humains dont les âmes doivent être jugées par le Christ. D’après cette sculpture qui date du début du 13ème siècle, et qui reproduit les saintes paroles de l’Evangile de Saint Mathieu, ce Nègre répondra au jugement dernier, au même titre que les papes de l’Eglise catholique. Incohérence : comment ce Nègre, être sans âme selon l’Eglise catholique, pourra-t-il être jugé par le Seigneur ou le Christ ? A cause de l’ignominie ecclésiastique contre les Nègres, il n’y avait aucune chance que je sois catholique ; aucune chance que je le devienne.
Malgré cela, j’ai pu admirer plus de 1000 fois la cathédrale Notre dame de Paris, à vélo, longeant la Seine depuis les quais de la Tournelle et de Montebello. Ce n’est pas le livre de Victor Hugo qui marque mon attachement à cet édifice. C’est encore moins la dimension religieuse des lieux. Mais à chaque fois que je passe devant Notre Dame, je suis emporté par une agréable impression de remonter le temps jusqu’au 13ème siècle. A chaque fois, je réalise qu’il a fallu une foi intense, de la persévérance et du sacrifice humain pour construire, huit siècles plus tôt, des édifices comme cette cathédrale.
Mon respect pour les bâtisseurs de ces édifices m’a amené à visiter les cathédrales du moyen-âge dans les principales villes de France : Amiens, Reims, Bordeaux, Nancy, Nantes, Grenoble, Dijon, Le Mans, Lille, Metz, Brest, Rouen, Poitiers, Saint-Malo, etc. Hormis les gargouilles ésotériques à l’allure et aux traits diaboliques qui ornent leurs façades, je suis passionné par leur architecture classique romano-gothique et leurs rosaces médiévales. Cette passion transcende leur vocation cultuelle. A chaque fois que je visite une vielle cathédrale, je plonge dans des questionnements métaphysiques qui m’apportent une quiétude spirituelle, loin des enjeux profanes de la vie quotidienne. En cela, je suis meurtri par la disparition de la substance de Notre de Paris, suite à l’incendie du 15 avril 2019.
Notre Dame est morte. Vite, Notre Dame !
« Nous rebâtirons la cathédrale plus belle encore, et je veux que cela soit achevé d’ici cinq années ». Disait le président français au lendemain de l’incendie qui a ravagé Notre Dame de Paris. Louis VII, sous le règne duquel avait commencé la construction de la cathédrale qui a duré 182 ans, s’interrogerait probablement sur la raison de cette précipitation. On constate une frénésie politico-médiatique, dopée par l’émotion populaire, pour une reconstruction rapide, très rapide, de la cathédrale. Comme s’il y avait une
revanche à prendre, une cupidité à ne perdre les retombées économiques des 13 millions de visiteurs qu’elle attire chaque année, ou une obsession à vouloir éblouir lors des Jeux Olympiques de Paris 2024. Comme si la vie des parisiens dépendait de la présence de Notre Dame. Notre Dame de Paris est à Paris. Mais Paris n’est pas à Notre Dame. La France non plus. Tous les parisiens, tous les français, ne sont pas catholiques. Une bonne partie des parisiens, des français et des touristes qui admirent Notre Dame ne s’intéressent pas du tout à la dimension religieuse de ce monument.
Avec un milliard d’euros de dons, il sera possible de construire une nouvelle Notre Dame de Paris, contemporaine et flamboyante. Mais la vraie Notre Dame ne sera pas ressuscitée. La nouvelle ne m’intéressera pas plus qu’une œuvre architecturale de Jean Nouvel ou de l’agence Valode et Pistre. Notre Dame de Paris n’est pas la seule cathédrale ayant marqué l’histoire de France. Il est plus opportun de lancer une souscription nationale permanente pour restaurer et préserver les monuments du patrimoine culturel français, éprouvés par le temps, ou en péril. C’est plus sérieux, plus sincère, et plus utile que d’attendre une vague d’émotion consécutive à un drame, pour cajoler les égos.
Pour une reconstruction de la cathédrale dans le respect de l’identité esthétique qui faisait son charme, aucune précipitation émotionnelle ou politicienne ne devrait être permise. Si l’architecte Viollet-le-Duc, qui a trimé pour restaurer les façades et fabriquer la flèche qui distinguait la cathédrale, était réveillé, il en voudrait à ceux qui veulent se servir de Notre Dame pour immortaliser leur nom. Au départ la cathédrale avait un style gothique primitif. On lui a ajouté du gothique rayonnant il y a plus d’un siècle. Emmanuel Macron va-t-il lui infliger du gothique Bling-Bling ? Rendez-vous dans 5 ans !
Notre Dame de Paris, une tache sur la laïcité.
Si la France était vraiment un pays laïc, les musulmans et les juifs auraient le droit d’aller prier à Notre Dame de Paris qui n’appartient pas à l’archevêché de Paris. Et ce, depuis la révolution française, par un décret du 2 novembre 1789. La France se disant pays laïc, et ayant adopté en 1905 une loi actant cette laïcité et la séparation des intérêts de l’Eglise et ceux de l’Etat, il serait légitime de clarifier le statut des cathédrales du Moyen-âge. Soit l’Etat revient sur le concordat de 1801 qui mit ces cathédrales à la disposition des évêques. Ces cathédrales deviendraient alors des monuments historiques et culturels sans culte catholique. Soit l’Etat revient sur les circulaires de 1833 et 1838, et remet à l’Eglise la pleine propriété de ces cathédrales. L’Etat arrêterait alors de dépenser des millions d’euros du contribuable (Catholique, juif, musulman, athée, etc.) pour entretenir Notre Dame de Paris et 85 autres cathédrales. La situation actuelle, contraire au principe constitutionnel d’égalité et de neutralité de l’Etat vis-à-vis des cultes, est une entrave à la laïcité si chère à la France.
Par ailleurs, cette laïcité est remise en cause par d’importants évènements abrités par Notre Dame de Paris : Le sacre de Napoléon en 1804, en présence du pape Pie VII ; des cérémonies d’hommages national et les funérailles de plusieurs présidents français ; la célébration de la libération de la France en 1944 par Charles De Gaulle ; l’illumination de la Vierge aux couleurs du drapeau français ; l’hymne national de la France joué aux grandes orgues pendant un office religieux ; etc. Indéniablement, un mariage gris unit les symboles, les représentants et l’argent de la république au culte catholique. C’est tout le contraire de la laïcité.
Avec ces travers, Notre dame de Paris macule la laïcité française qui reste une coquille, vide de sens. Il faut respecter la limite nécessaire entre le devoir national de préserver les monuments historiques, et le devoir de neutralité religieuse qui s’impose à l’Etat français, au nom de cette fameuse laïcité « Made in France ».
n
Aliou TALL,
Président du RADUCC.
Email : raducc@hotmail.fr