Selon le leader de l’opposition Cellou Dalein Diallo, le chef de l’Etat tentera de modifier la constitution pour briguer un troisième mandat. Entretien exclusif.
Président de l’Union des forces démocratique de Guinée (UFDG) et figure de proue de l’opposition au chef de l’État guinéen Alpha Condé, l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo défiera le moment venu « le professeur » pour la troisième fois. Quand? Mystère. Théoriquement prévu l’an prochain, le scrutin pourrait être différé à 2021. À l’aune de diverses déclarations récentes, tout indique que le sortant octogénaire compte bien briguer un nouveau mandat, au prix d’une réforme de la constitution.
En 2010, fraîchement rentré de son long exil parisien, Alpha …., distancé par … Cellou au premier tour (18,25% des suffrages contre 43,7%), l’avait coiffé au second, au terme d’une insolite « remontada » et quitte à flatter les réflexes « anti-peuls » de l’électorat. Cinq ans plus tard, celui qui fut le condisciple de Bernard Kouchner au lycée Turgot raflera la mise sans même passer par la case ballottage. Alors même que le scénario du troisième mandat suscite une contestation croissante, « CDD », économiste de formation, dresse un diagnostic implacable de la gouvernance Alpha.
L’Express : Alpha Condé est-il selon vous en course pour un nouveau quinquennat?
Cellou Dalein Diallo : A l’instant T, des rumeurs persistantes annoncent une réforme de la Constitution qui, soumise à référendum, permettrait notamment de mettre fin à la limitation du nombre de mandats présidentiels. L’instauration d’une nouvelle république ayant pour effet de faire sauter ce verrou et de délier Alpha Condé de ses serments. A mon sens, il a déjà pris la décision de briguer un nouveau bail. Cela posé, l’homme n’est pas suicidaire. S’il sent de très fortes résistances, internes comme externes, le sortant pourrait privilégier l’option d’un glissement dans le temps; en clair, d’un report de l’échéance.
Quand le scrutin aura-t-il lieu?
Depuis l’accession au pouvoir d’Alpha, aucune élection n’a été tenue à la date prévue, à l’exception notable de la présidentielle de 2015, le fameux « coup K.O. » [formule imagée, répandue en Afrique francophone, signifiant la victoire dès le premier tour; en l’occurrence, « Alpha » l’avait emporté le 11 octobre de cette année-là avec près de 58% des suffrages]. Les législatives de décembre 2011 ont été organisées en septembre 2013; quant aux locales de 2018, que le pouvoir a d’ailleurs perdues, elles furent convoquées avec sept années de retard. Il a fallu, pour en arriver là, batailler sans relâche, à coups de manifestations pacifiques réprimées à balles réelles. Nous avons perdu ainsi 57 de nos partisans, sans que la moindre enquête ait été déclenchée. Le chef de l’Etat décide donc de tout selon son humeur, y compris du calendrier électoral.
Entre le Congolais Joseph Kabila, qui s’est offert deux années de « temps additionnel » avant de passer la main, et l’Ivoirien Alassane Ouattara, tenté un temps par l’aventure du troisième acte, où se situe selon vous Alpha Condé?
Alpha n’est pas Ouattara. Il a la tête fêlée et fera tout pour parvenir à ses fins, ne reculant le cas échéant qu’à la dernière minute en cas d’impasse. Lui mise sur deux facteurs : la corruption, achats de consciences compris, et la répression, tout en invoquant bien entendu l’appel
de la vox populi . Notre police est la mieux équipée de la sous-région, grâce aux livraisons de la Russie et de la Turquie de [Recep Tayyip] Erdogan. D’emblée, à tous ceux qui, partenaires européens en tête, réclamaient le respect des échéances démocratiques, il objectait la souveraineté nationale. D’où ses références récurrentes à la nécessité de « couper le cordon ombilical » avec la France et son refus de voir « les ONG diriger la Guinée ». D’où, également, son rapprochement avec le Rwandais Paul Kagamé, nationaliste intransigeant.
Pourquoi ce raidissement?
Il s’explique en partie par le revers qu’Alpha a subi lors des municipales de l’an dernier. Mon parti a gagné à peu près partout, y compris dans ses fiefs de la basse côte [la Guinée maritime] et dans divers quartiers de Conakry acquis d’ordinaire au PDG [le Parti démocratique de Guinée]. Ce qui invalide sa théorie selon laquelle je ne serai qu’un leader communautaire, soutenu par les seuls Peuls. Même en Guinée forestière, un autre de ses bastions, le président s’est retrouvé en ballottage. Il n’en revenait pas. Au point d’avoir exigé alors une correction des résultats.
Peu après ce scrutin, alors que nos actions de protestation paralysaient le pays, il m’a appelé, invoquant l’intérêt supérieur de la nation. Nous nous sommes vus. En échange de la promesse de rétablir le verdict des urnes, j’ai consenti, au grand dépit des cadres et des militants de ma formation, qui m’accusaient de pécher par naïveté, à suspendre le mouvement. Et lui n’a pas tenu sa promesse. Nous avons donc repris la rue, et Alpha m’a sollicité une fois encore. « Cellou, viens me voir. » « Non, grand frère, lui ai-je répondu. Ce coup-là, je ne viendrai pas. Tu détruis mon lien politique avec ma base. »
L’actuel chef de l’État, qui bénéficiait de la bienveillance de son ami socialiste François Hollande, jouit-il d’un statut analogue depuis l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron?
Sous Hollande, c’était bien plus que de la bienveillance. Un soutien assumé, inconditionnel, une complicité sans faille. Hollande était intraitable. Son leitmotiv? « Alpha, c’est le consensus ». Quant à sa « conseillère Afrique » Hélène Le Gal [aujourd’hui ambassadrice de France en Israël], elle affichait à l’époque à mon égard une hostilité explicite. A tel point qu’un jour, j’ai claqué la porte de son bureau élyséen.
A ma connaissance, Alpha n’est pas parvenu à instaurer la même familiarité avec Emmanuel Macron, plus méfiant que son prédécesseur. Ce qui ne l’empêche pas d’agiter auprès de Paris le même épouvantail : si c’est Cellou, la Guinée deviendra un centre d’entraînement djihadiste régional…
Que vous inspire le projet de loi antiterroriste imaginé par le gouvernement?
Il obéit à un agenda liberticide et vise en fait à permettre au pouvoir de réprimer librement. Lutter résolument contre le fléau du terrorisme, oui. Mais à condition de se conformer à l’esprit et à la lettre de la constitution.
Les autorités se prévalent d’avoir accru sensiblement les ventes de bauxite, dont Conakry est aujourd’hui le deuxième exportateur mondial. Un atout pour le pays, non?
De fait, la Guinée exportait 15 millions de tonnes de bauxite par an. Elle en est aujourd’hui à 50 millions et vise les 80. L’ennui, c’est que le pays n’a pas su tirer profit des opportunités offertes par un
retournement favorable du marché en valorisant sur place une portion significative -50% au moins- du minerai extrait. Alpha est trop pressé. Il veut l’argent tout de suite. Voilà pourquoi les Chinois, très présents chez nous, obtiennent aisément et dans une certaine opacité des concessions minières.
Comment justifier le fait que la Guinée soit, sur le continent africain et malgré ses ressources, le premier pays fournisseur de demandeurs d’asile en France? Privés d’emplois et de perspectives d’avenir, les jeunes partent. Là est le premier échec. Le second est environnemental. Les études d’impact sont soit inexistantes, soit lettre morte. Que voit-on sur le terrain? Des cratères partout, des sources d’eau contaminées par la pollution, la rétraction des espaces cultivables. Mais aussi un apport insuffisant au trésor public, rançon des régimes fiscaux excessivement généreux offerts aux investisseurs.
Vincent Hugueux (journaliste reporter à l’Express).