Le président Cyril Ramaphosa a récemment annoncé que le « travail du sexe » pourrait bientôt être dépénalisé. Si cela est vrai, cela marquerait la fin d’une époque qui restera dans les mémoires comme une tâche de notre démocratie constitutionnelle. Le droit d’être un travailleur du sexe est garanti par la Constitution et son interdiction est le résultat d’une jurisprudence erronée plutôt que du respect de l’état de droit.
Que disent les textes ?
L’article 22 de la Constitution dispose que «toute personne a le droit de choisir librement son métier». Il ajoute que le gouvernement peut « réglementer » (mais pas interdire) la « pratique » (mais pas le choix) de ces métiers et professions, « par la loi ». Cette disposition a été presque universellement ignorée par le gouvernement ainsi que par les tribunaux. Non seulement pour les travailleurs du sexe, mais aussi pour près de dix millions de chômeurs qui souhaitent exercer d’autres métiers et qui travailleraient si le gouvernement ne les empêchait pas de prendre des emplois à des conditions qu’ils jugeaient acceptables en dessous du salaire minimum obligatoire. Le gouvernement s’est ingéré de manière injustifiée pour bafouer la liberté de choix des Sud-Africains.
Dans la tristement célèbre jurisprudence de la Cour constitutionnelle, lors de l’affaire « S v Jordan », le travail du sexe a été décrit par la majorité comme un «mal social» que le Parlement peut «combattre». Le gouvernement a estimé que la prostitution était «associée à la violence, à l’abus de drogues et au trafic d’enfants». La cour a accepté cet argument, affirmant que l’interdiction du commerce du sexe était légitime et constitutionnelle pour cette raison. La cour a commis deux erreurs fondamentales : l’une logique et l’autre émotionnelle. Toutes les deux sapent l’obligation pour les tribunaux d’appliquer la loi de manière équitable et de prévenir les interventions gouvernementales qui, en dernière analyse, sont arbitraires ou non raisonnables.
L’erreur émotionnelle de la Cour
Les juges sont des êtres humains ordinaires avec des préjugés et des opinions. La société sud-africaine est profondément conservatrice sur le plan social. Il n’est donc pas surprenant que la majorité des membres du jury, lors de l’affaire « S v Jordan », aient également été socialement conservateurs. Le fait que la Cour ait reconnu sans réserve que le travail du sexe était un «mal social» et avait inscrit dans la Constitution le mandat d’interdire la commercialisation du sexe, en est la preuve.
Ni la Constitution provisoire, ni la Constitution actuelle ne légitiment de manière explicite ou implicite l’idée que des choix de professions spécifiques pourraient constituer un mal social qu’il faudrait éradiquer. Au contraire, comme nous l’avons vu, la Constitution dispose clairement que les Sud-Africains ont le droit de décider eux-mêmes du travail qu’ils effectueront. Les seuls emplois interdits par la Constitution sont ceux qui sont intrinsèquement contraires aux droits d’autrui ; comme la mise à mort par contrat, par exemple. La Cour constitutionnelle a laissé sa propre culture socialement conservatrice influencer son jugement, alors qu’elle était censée défendre le droit de chacun de décider de sa profession sans crainte, favoritisme ou préjudice.
La deuxième erreur était logique
En l’état actuel de la loi, le travail du sexe est interdit et constitue donc un crime. Le résultat de l’interdiction légale – que ce soit du travail du sexe, du commerce de l’alcool, de la cigarette ou de la drogue – est l’émergence d’un marché clandestin. Sur le marché noir, la loi n’a pas de droit de cité. Pour la vente d’héroïne on ne conclut pas un contrat écrit notarié par un avocat. Les bordels ne reçoivent pas les inspections mensuelles de responsables de la santé et de la sécurité. Les contrebandiers d’alcool ne soumettent pas leurs états financiers aux auditeurs. Aux États-
Unis, à l’époque de la prohibition, lorsque la consommation et la distribution d’alcool étaient interdites, des syndicats de criminels se formèrent autour du secteur, et des meurtres et des guerres de gangs eurent bientôt lieu. Le secteur a été protégé et étendu par la violence et non par une compétition, car les mécanismes juridiques rendant possible un marché libre normal n’existaient pas.
Comme les organisations de défense des travailleurs du sexe (SWEAT Force et Sisonke) l’ont souligné à plusieurs reprises, en ne reconnaissant pas la prostitution en tant qu’activité légitime, les travailleurs du sexe sont placés dans une position extrêmement dangereuse, car ils n’ont aucun recours auprès des tribunaux ou de la police. Kholi Buthelezi, de Sisonke, a écrit dans un plaidoyer passionné que les travailleuses du sexe souhaitaient collaborer avec la police pour éliminer la violence et les crimes dirigés contre les enfants dans l’industrie. Mais ils ne peuvent pas le faire, car les travailleurs du sexe sont eux-mêmes des criminels au regard de notre régime juridique actuel.
La Cour constitutionnelle, lors de l’affaire « S v Jordan », est donc tombée dans le piège du raisonnement circulaire. Le travail sexuel est illégal car le secteur est imprégné de violence, de toxicomanie et de trafic d’enfants. La criminalité associée à la prostitution ne disparaîtra que lorsque les travailleuses du sexe bénéficieront des protections offertes par la loi et par les syndicats. Les programmes et initiatives sans conviction qui ne visent pas la décriminalisation et la légalisation totales sont inutiles.
La criminalisation mondiale du travail du sexe est une parodie comparable à celle de l’unanimité autour de l’interdiction de l’homosexualité. Cela transforme, des êtres humains ordinaires qui souhaitent vivre en paix sans nuire à autrui, en des criminels de droit commun. Le fait que l’Afrique du Sud ait continué à le faire, même dans le cadre d’une constitution qui protège de manière évidente et explicite la liberté des personnes de choisir leurs propres professions, est profondément embarrassant. Espérons que tout gouvernement constitué après le 8 mai mettra un terme à cette situation abominable.
Martin van Staden, analyste for The Free Market Foundation.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.