Le parti présidentiel, le Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) a officiellement annoncé sa volonté de réformer la Constitution. Le chef de la majorité présidentielle au Parlement, Amadou Damaro Camara, soutient que la réforme vise à moderniser les institutions et à apporter des changements positifs. Cependant, l’opposition politique et les ONG unies dans le Front National pour la défense de la Constitution (FNDC) redoutent un glissement vers un 3ème mandat du Président Alpha Condé. Que cache le projet de réforme constitutionnelle à un an de la présidentielle ?
Une dictature en gestation…
La Constitution du 07 mai 2010 (article 51) donne le droit au Président Condé d’initier un projet de loi constitutionnel. Les raisons avancées tournent autour de la modernisation de certaines institutions devenues obsolètes. Toutefois, le timing intrigue, ce qui soulève plusieurs questions. Pourquoi ne pas alors opter pour une simple révision constitutionnelle des articles concernés ? Pourquoi attendre la fin de son second mandat pour entreprendre une telle démarche ? En effet, si une nouvelle constitution venait à être adoptée, elle ouvrirait une grande brèche à un 3ème mandant. Ce qui ne serait pas le cas pour une révision des articles relatifs aux institutions. Par ailleurs, la limitation des mandats présidentiels à deux (2) est clairement encadrée par la Constitution (articles 27 et 54). L’article 27 relatif aux mandats du Président de la République stipule : « la durée de son mandat est de 5 ans, recouvrable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non. » Aussi, l’article 54 dispose : « la forme républicaine de l’Etat, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’Etat, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandants du Président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision ». En clair, la volonté de Condé de changer de Constitution à un an de la fin de son second mandat est bien une ruse pour briguer un 3ème mandat afin de se maintenir au pouvoir.
Des calculs politiciens dangereux
Ces petits calculs politiciens révèlent au grand jour la face cachée d’Alpha Condé. Il voudrait rester au pouvoir. Mais pour quoi faire ? Sa promesse électorale de résoudre la question de l’électricité n’a pas encore été totalement tenue, car 70% des ménages ne sont pas raccordés au réseau électrique selon une enquête menée en 2017 par State View International. Ainsi, il cherche à esquiver la reddition des comptes et à épargner à son parti la sanction des urnes. Il cherche aussi à museler l’opposition en se taillant une Constitution sur mesure lui conférant davantage de pouvoirs. C’est aussi une manière d’échapper à la justice pour plusieurs affaires dénoncées par Global Witness et le Serious Fraud Office impliquant le Président, son fils et ses clans dans des biens mal acquis et des détournements de deniers publics. Selon le rapport Mo Ibrahim de 2017, la Guinée figure parmi les pays africains où il y a le plus de détournements de fonds publics. En effet, avec un score de 10,4 au niveau du détournement de fonds public, la Guinée est classée 39ème sur 54 pays. Certains activistes comme Abdourahmane Sano, président de la Plateforme des citoyens unis pour le développement (PCUD), accusent l’exécutif : « Notre pays est l’un des principaux exportateurs de bauxite dans le monde. Il possède des gisements de minerais de fer, d’or, de pétrole. Il est pourtant l’un des plus pauvres, et sa jeunesse s’en va. Où va l’argent ? Ce sont ces affairistes qui poussent le Président Alpha à briguer un troisième mandat pour protéger leurs acquis ». La situation de corruption généralisée dans le pays est du pain béni pour les entreprises exerçant dans le secteur minier contrôlé par le Président en personne par décret. Le dernier rapport de Transparency International sur l’indice de
perception de la corruption, publié en janvier 2019, constate une corruption endémique : la Guinée se classe au 138ème rang mondial sur 180 pays étudiés. L’an dernier, un rapport d’audit des marchés publics exigé par le FMI et commandité par le gouvernement, a révélé que 87% de ces marchés sont passés de gré à gré. Le maintien de Condé pourrait être bénéfique pour toutes les personnes qui tirent profit de la corruption galopante. Dans ce sens, Condé pourrait avoir un soutien tacite des Occidents dont les multinationales opèrent dans le pays. Sinon, pourquoi leurs diplomaties ne montent pas au créneau face au 3ème mandant qui pourrait conduire la Guinée dans le chaos ?
Les dangers du coup d’Etat constitutionnel
La réforme constitutionnelle envisagée par Condé est un véritable coup d’Etat constitutionnel. Elle menace l’enracinement de la démocratie en Guinée. Depuis l’indépendance, le pays a été sous la dictature jusqu’à son élection le 7 novembre 2010. Le 3ème mandat sonnerait ainsi le glas de la naissante démocratie guinéenne. Le pays riche en ressources naturelles peine à bâtir une économie prospère pour changer la vie des populations dont la grande majorité est pauvre. La corruption dans le pays favoriserait des contrats aux sociétés minières qui ne profiteraient qu’au clan Condé. Il n’est pas certains que le peuple guinéen participent impassiblement à cette descente aux enfers. L’opposition politique et les organisations de la société civile se sont coalisées dans le FNDC pour s’opposer au coup d’Etat constitutionnel. L’enlisement de la situation pourrait finir par pousser la population à une révolution écourtant le second mandat de Condé. Le vent de démocratie qui souffle un peu partout en Afrique ayant renversé Blaise Compaoré au Burkina Faso, Omar El-Béchir au Soudan et Abdelaziz Bouteflika en Algérie pourrait avoir raison de Condé qui semble s’obstiner sur la voie qui a perdu ces pairs.
Le projet de réforme constitutionnel semble vraisemblablement un alibi pour briguer un 3ème mandant. C’est donc un assassinat de la démocratie en Guinée que prépare le clan Condé pour préserver son intérêt au détriment du peuple guinéen. Son image serait entachée par son refus de devenir le père de l’alternance démocratique en Guinée. Il manquerait ainsi la possibilité de renter dans l’histoire par la voie royale.
FANGNARIGA YEO, Activiste des droits de l’homme et blogueur.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.