ao Zhisheng est un éminent avocat spécialisé dans la défense des droits humains en Chine. Au fil des ans, il a été persécuté, enlevé et condamné à la prison. En août 2017, il a de nouveau « disparu » et personne ne l’a revu depuis. Teng Biao, ami de l’avocat et spécialiste du droit nous raconte son histoire.
En 2004, j’ai pris connaissance d’une lettre ouverte adressée à l’Assemblée populaire nationale appelant l’attention sur la question du Falun Gong, mouvement religieux en Chine.
À ce moment-là, les adeptes du Falun Gong étaient soumis à des persécutions de grande ampleur depuis cinq ans, mais personne n’osait prendre leur défense. C’était très courageux de la part d’un avocat d’évoquer ouvertement le sujet, alors j’ai retenu son nom : Gao Zhisheng.
Le mouvement en faveur des droits humains en Chine commençait tout juste à se développer. Les avocats défendant activement les droits humains n’étaient pas plus de 20. J’avais hâte de rencontrer Gao et j’ai eu la chance de pouvoir le faire quelques semaines après avoir lu la lettre ouverte. Il était grand, plein d’entrain et ses traits rayonnaient de santé. Je me souviens qu’il était amical et avait de l’humour, et son rire résonnait dans la pièce. Rien ne le mettait plus en colère que l’injustice. Nous avons discuté jusque tard dans la nuit et, peu après, nous avons commencé à travailler ensemble sur des affaires relatives aux droits humains.
Le premier cas fut celui de Cai Zhuohua, pasteur d’une « Église domestique » à Pékin qui, avec les membres de sa famille, a été arrêté pour activités commerciales illégales après avoir imprimé de multiples exemplaires de la Bible. C’est la première fois que je voyais Gao à l’œuvre au tribunal – sa grâce et son éloquence. Le tribunal n’a pas respecté le droit légal de la mère de Cai Zhuohua d’assister à l’audience et Gao a dénoncé l’attitude du juge avec ferveur. Après cela, Gao et moi-même avons souvent assisté à des messes dans des Églises domestiques à Pékin et il s’est même fait baptiser par la suite.
Une autre affaire fut celle de Shaanxi Oil. À l’époque, l’un des avocats de cette affaire, Zhu Jiuhu, a été arrêté et emprisonné au centre de détention de Shaanxi Yulin. Nous sommes allés le représenter et avons pris des photos à l’entrée, avant de partir. Peu après, plus d’une dizaine de policiers armés se sont précipités vers nous et nous ont interrogés sur ces photos. Ils ont cru pouvoir nous faire peur, mais nous avions l’habitude de ce genre d’interrogatoires et les avons contrés avec fermeté. Peu après, Gao a déploré : « Si c’est ainsi qu’ils traitent les avocats dans le cadre de poursuites, imaginez ce qu’ils feraient aux habitants du secteur ? »
Sur le chemin du retour, nous nous sommes arrêtés chez Gao, à Jiaxian, et avons mangé des nouilles, accroupis dans la cour. Je n’oublierai jamais sa maison troglodyte, son frère taciturne et le paysage sec et aride qui nous entourait.
UN MINEUR DE CHARBON DEVENU AVOCAT
Gao Zhisheng est issu d’un milieu modeste. Son père est mort lorsqu’il avait 11 ans. À 16 ans, il a été admis dans un lycée prestigieux, mais a dû abandonner car il ne pouvait pas payer les frais de scolarité. Avant de devenir avocat à l’âge de 31 ans, il a occupé divers emplois : cueilleur d’herbes chinoises dans les montagnes, mineur de charbon, soldat et vendeur de légumes, et ouvrier dans une cimenterie. Il a connu toutes sortes d’épreuves et avait une compréhension très fine des inégalités et des injustices en Chine.
Lorsqu’il est devenu avocat, Gao s’est fixé quelques règles. L’une d’entre elles était qu’un tiers de ses affaires devaient être des poursuites pro bono (à titre bénévole) pour les groupes à faibles revenus. Il a déclaré : « Je viens d’une famille pauvre. Je sais comment les gens pauvres se sentent, alors je sais ce que j’ai à faire… Mais aider les autres ne
devrait pas être un acte de charité. »
Gentillesse à l’égard de policiers en civil
En 2005, il a écrit trois lettres ouvertes à des dirigeants chinois, révélant que les autorités torturaient systématiquement les adeptes du Falun Gong. Si d’autres ont préféré ignorer cette violation flagrante des droits humains, Gao a parcouru toute la Chine pour s’entretenir avec des adeptes de ce mouvement et défendre leurs droits.
Au départ, les autorités ont fermé son cabinet. Puis, à l’hiver 2005, elles ont commencé à restreindre ses libertés personnelles – une vingtaine de policiers en civil le suivaient partout et une dizaine de voitures surveillaient le secteur autour de chez lui.
« Chaque matin, en regardant par la fenêtre, je les vois sautiller sur place pour tenter de se réchauffer, racontait Gao. Mon épouse et moi-même nous sentons très mal pour eux. Alors ce matin, nous avons discuté de la manière d’apporter à ces jeunes gens de l’eau chaude. » Il a fini par fournir de l’eau chaude aux policiers en civil – non pas pour les humilier, mais par réelle sollicitude. Gao me rappelait souvent que ceux qui appliquent les ordres d’un régime autoritaire en sont également les victimes.
À ce moment-là, la plupart des avocats spécialisés dans la défense des droits humains étaient basés à Pékin. Nous demandions souvent à Gao Zhisheng de faire profil bas, mais il n’écoutait jamais. Peut-être savait-il déjà qu’il était trop tard ou alors préférait-il mener une bonne lutte.
Il a su gagner le respect de tous pour sa compréhension approfondie du système légal et sa compassion envers les gens. Outre de nombreux prix des droits humains, il a été nommé pour le prix Nobel de la paix à de multiples reprises. Gao Zhisheng n’est pas « l’un des » avocats les plus courageux de Chine, c’est indéniablement « le » plus courageux.
ENLEVÉ
En août 2006, Gao Zhisheng a été kidnappé. Il a écrit par la suite :
« Un jour, je descendais la rue et j’ai tourné au coin lorsque six ou sept inconnus se sont dirigés vers moi. Soudain, j’ai senti un fort coup à l’arrière de la nuque et je suis tombé face contre terre. Quelqu’un m’a tiré d’un coup sec par les cheveux et on m’a immédiatement mis une cagoule noire sur la tête.
« Quatre hommes équipés d’aiguillons à électrochocs ont commencé à me frapper sur la tête et partout sur le corps. Je n’entendais rien d’autre que le bruit des coups et ma respiration angoissée. Je me tordais de douleur à terre, essayant de ramper pour m’éloigner. [L’un d’entre eux] m’a alors envoyé une décharge dans les parties génitales. Je les ai suppliés d’arrêter, ce qui a eu pour conséquence de les faire rire et de provoquer des tortures incroyables.
« J’ai senti la forte odeur d’urine nauséabonde. Mon visage, mon nez et mes cheveux empestaient. À l’évidence, mais je ne sais pas quand, quelqu’un m’avait uriné sur le visage et la tête. »
Il est douloureux pour moi de lire ces mots aujourd’hui.
TROUVER GAO ZHISHENG
Au cours des 13 années qui ont suivi son enlèvement, Gao Zhisheng n’a pas connu une seule journée de liberté : il a été soumis à une disparition, enfermé ou placé en résidence surveillée. Lorsque Gao a enfin été revu en public, il avait l’air âgé et fragile. Il avait perdu presque toutes ses dents. En regardant sa photo, je ne pouvais m’arrêter de pleurer.
Pourtant, chaque fois, après chaque enlèvement, chaque incarcération et chaque torture, Gao Zhisheng refusait de baisser les bras.
Lorsqu’il était détenu dans une grotte en 2016, il a découvert que l’Association du barreau américain (ABA) refusait de publier mon livre. Il a écrit un article pour les critiquer et condamner toute organisation encline à céder ou succomber au régime autoritaire chinois. Même vulnérable, il refusait de se taire.
En août 2017, Gao Zhisheng a de nouveau « disparu » et on est sans nouvelles de lui depuis lors. Sa famille et ses proches continuent de s’inquiéter à son sujet.
Nous continuons de rechercher Gao. Nous espérons retrouver bientôt la douceur de son sourire, sa force extraordinaire, sa détermination inébranlable dans son combat pour la dignité humaine et son refus d’accepter la défaite.
Écrit par Teng Biao