Le Niger connaitra sa première alternance démocratique au terme de la présidentielle de 2021 à laquelle ne concourra pas l’actuel président Mahamadou Issoufou. Jusque-là, les militaires interrompaient des régimes civils ayant presque basculé dans l’autoritarisme. Publiquement, Issoufou a affirmé respecter la constitution qui limite les mandants présidentiels à deux contrairement à certains de ses pairs du continent. Pourquoi la règle constitutionnelle va être respectée au Niger alors que ce n’est pas le cas dans d’autres pays africains?
Un leadership exemplaire
Dès son investiture suite à son élection en 2011, Issoufou a affiché son leadership en affirmant s’inscrire dans le respect de la limite des mandats présidentiels. Tout au long de sa présidence, il a gardé cette ligne tracée dès le départ. C’est pourquoi des promoteurs d’un troisième mandat en ont fait les frais. Ainsi, en mai 2018, deux acteurs de la société civile de la région de Zinder, Salissou Ibrahim et Issoufou Brah ont appelé le président Issoufou à briguer un troisième mandat en 2021 à travers des propos qui ont vite fait le tour des réseaux sociaux. Ils ont été jugés et condamnés par la justice. Cette déclaration d’appel à un troisième mandat a été diversement appréciée. Mais pour Mohamed Bazoum, le président du parti présidentiel, le Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS) : « un troisième mandat au Niger signifie un coup d’Etat. Nous sommes un parti qui a comme ambition de stabiliser le pays pour progresser ». De plus, Issoufou n’a pas permis à ses proches de faire une promotion d’un 3ème mandat. A ce titre, il ne laisse planer aucun doute : il ne sera pas candidat en 2021.
Son leadership s’est aussi traduit par sa capacité à respecter sa parole et ses engagements. Dans ce sens, sa promesse de lutter contre le terrorisme et l’extrémisme violent dans la sous-région a été tenue. C’est pourquoi, il a reçu à New York, le jeudi 27 septembre 2018, le Prix du Leadership décerné par « Global Hope Coalition ». Cette distinction spéciale lui a été remise le même jour à l’occasion de l’édition 2018 des « Outstanding Leadership Awards », pour ses efforts dans la lutte contre l’extrémisme et l’intolérance, et pour sa compassion envers les réfugiés et les migrants. Depuis l’accession du Niger à l’indépendance le 3 août 1960, il n’y a jamais eu un passage de témoin entre un président démocratique élu sortant et un président entrant élu démocratiquement. Grâce à Issoufou cela sera une réalité en 2021.
Les leçons de l’histoire
La décision du président Issoufou de se retirer au terme de deux mandats présidentiels pourrait se comprendre aussi par l’histoire du pays et la rue africaine qui a déjà éconduit plusieurs présidents qui ont voulu s’accrocher au pouvoir. En effet, son prédécesseur, Mamadou Tandja après deux mandants a fait changer la Constitution à travers un référendum tronqué pour se maintenir au pouvoir. Il a été renversé le 18 février 2010 par le Général de corps d’armée Salou Djibo et est sorti par la petite porte. Suite à la présidentielle (second tour) de 2016 boycottée par l’opposition politique dont le chef de file Hama Amadou est toujours en exil, le contexte politique national ne favorise pas un troisième mandant. Une telle initiative aurait rencontré une forte résistance au plan interne comme externe. Le bilan économique d’Issoufou est discutable. Avec un taux de pauvreté de 44,1% et un revenu moyen par habitant de 420 dollars, le Niger est l’une des nations les plus pauvres du monde et l’accès aux services de base (santé et éducation) constitue un défi majeur. En 2018, la croissance du PIB a été de 5,20 % et le PIB/habitant de 412 dollars. Le taux d’alphabétisation demeure faible (28,40 %) en 2017. Le taux de chômage est de 15,9%. De plus, l’armée nigérienne a déjà perpétré plusieurs coups d’Etat dans l’histoire du pays. Elle a renversé Tandja dans sa folie d’un troisième
mandat. A l’extérieur, en 2014 les Burkinabés ont fait tomber le régime de Blaise Compaoré. Plusieurs dirigeants sont tombés ces dernières années sous la pression de la rue. Tout cela donne à réfléchir à qui sait tirer de bonnes leçons de l’histoire. Visiblement, Issoufou a su tirer de bonnes leçons de l’histoire de son pays et des récentes révolutions en Afrique.
Une pression interne et externe
Issoufou fait face à une situation politique intérieure qui le fragilise. Le second tour de la présidentielle de 2016 a été boycotté par l’opposition politique parce que son candidat Hama Amadou était en prison. Lui et son épouse avaient été condamnés à un an de prison ferme, reconnus coupables de « supposition d’enfant », un délit qui consiste à attribuer la maternité d’un nouveau-né à une femme qui ne l’a pas mis au monde. L’opposition avait alors dénoncé un procès politique. Des voix s’étaient élevées aussi pour désavouer le régime d’Issoufou dans cette affaire notamment l’Union Européenne. Preuve que sa réélection reste entachée. Aussi, son bilan économique n’est pas positif pour nombre de nigériens. Dans ce contexte, tout projet de 3ème mandat rencontrerait une farouche opposition interne. Par ailleurs, dans plusieurs pays africains, des révolutions populaires font tomber des régimes. Ainsi, les projets de 3ème mandat rencontrent de plus en plus une opposition comme c’est le cas actuellement en Guinée. En outre, selon la presse, le président français Emmanuel Macron aurait demandé aux présidents ivoirien et guinéen de renoncer à tout projet de 3ème mandat. Les diplomaties occidentales ne tolèrent plus les tripatouillages de Constitution pour se maintenir au pouvoir. Cette situation pourrait être une pression tacite sur Issoufou en l’encourageant à respecter la limitation de mandats présidentiels.
Sur un continent où plusieurs dirigeants s’accrochent au pouvoir en s’appuyant sur l’armée, la volonté du président Mahamadou Issoufou de respecter la limitation de mandants présidentiels demeure comme un éclair dans un ciel obscure. Cela traduit aussi l’idée qu’il peut y avoir une vie après la présidence. Les dirigeants africains devraient s’inspirer de son exemple pour éviter de subir des révolutions populaires qui ont déjà fait trop de victimes.
FANGNARIGA YEO, Activiste des droits de l’homme et blogueur.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.