Burkina : les raisons de la nostalgie Compaoré

L’unité nationale burkinabé s’effrite progressivement en raison des soubresauts politiques qu’a connus le pays à la suite de l’insurrection populaire de 2014. Depuis 2016, le pays est menacé d’une crise sécuritaire par des groupes djihadistes venus du Mali et qui ont trouvé dans la région du Sahel burkinabé un terreau propice pour se développer. Cinq ans après la chute de Blaise Compaoré, une majorité de Burkinabés se dit favorable à son retour. Comment expliquer la montée d’une telle nostalgie ? Et pourquoi son retour n’est pas une bonne idée ?

Le bilan en demi-teinte du gouvernent Roch

D’abord, sur le plan sécuritaire, la première préoccupation des Burkinabè est désormais le retour de la paix et de la sécurité, surtout après que les terroristes ont à nouveau frappé dans la région nord. La prolifération des attentats terroristes et l’inertie du gouvernement Kaboré pour endiguer le phénomène expliquent la nostalgie envers Compaoré. Ce dernier ayant la réputation de médiateur et « d’ami des rebelles[1] » qui, aux yeux des burkinabè, aurait été précieuse pour négocier et limiter les attaques terroristes. Les populations rurales fustigent l’absence du gouvernement dans l’arrière-pays et l’inadaptation de ses stratégies en réponse à l’implantation des groupes terroristes, alors que l’Etat a perdu aujourd’hui le contrôle de près d’un tiers du territoire national.

Ensuite sur le plan politique, le Président Roch est perçu comme n’ayant pas fait avancer le processus de démocratisation du pays ni celui de la réconciliation nationale. En témoignent les conflits intercommunautaires autour de l’appropriation et exploitation des terres. De même, le dialogue politique promis, certes ayant permis à ce que la majorité au pouvoir et l’opposition s’entendent sur une révision a minima du code électoral, néanmoins des désaccords existent sur le maintien de la carte électorale traditionnelle, le vote de la diaspora, le rejet de la nouvelle formule d’enrôlement proposée par le gouvernement et le sort de la nouvelle Constitution[2].

Sur le plan moral, on note aussi une dégradation de la moralisation dans la gestion des affaires publiques. La corruption prend de plus en plus d’ampleur, remettant ainsi en cause la crédibilité du corps politique, mais surtout contribuant à la porosité des frontières alimentant ainsi l’insécurité et les attaques terroristes avec la complicité de cadres corrompus. Malgré l’existence de l’autorité supérieure de contrôle d’État et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) et le renforcement de l’arsenal juridique avec la loi de mars 2015 sur sa prévention et sa répression, les Burkinabé fustigent la mauvaise gouvernance (au niveau du trésor, des impôts et du ministère en charge des finances), raison pour laquelle ils avaient d’ailleurs chassé Compaoré.

Enfin sur le plan socio-économique, en comparant les indicateurs de croissance avant et pendant l’ère Kaboré, l’on ne peut pas dire que le gouvernement Roch ait répondu aux attentes des citoyens. Ainsi, la croissance économique a ralenti passant de 8,4% en 2010 à 5,9% en 2018, alors qu’en même temps le chômage progresse, puisque son taux est passé de 2,2% à 6,1% durant la même période (qui frappe la tranche d’âge des 15-34 ans, représentant environ 35% de la population et 63,76 % des chômeurs). Et même si la pauvreté est en recul relatif, les inégalités ne cessent de se creuser dans le pays, nourrissant les frustrations populaires. Il n’est pas étonnant alors que les citoyens ressentent de la nostalgie pour Compaoré avec lequel les indicateurs socio-économiques étaient moins alarmants.

Pourquoi son retour n’est-il pas une bonne idée ?

Sur le plan sécuritaire, il existe un fantasme
populaire sur la capacité de l’ancien président à rétablir l’ordre et la sécurité, car les acteurs djihadistes ont changé sur le terrain d’une part, et, d’autre part, le terrorisme est un phénomène complexe qui imbrique des raisons idéologiques, politiques et économiques dépassant la seule logique sécuritaire telle que perçue par la population. Le djihadisme est devenu endogène, incarné par certaines figures burkinabés comme l’imam Malam Dicko. Si ces groupes djihadistes utilisent le Mali comme base arrière, ils s’appuient en grande majorité sur des citoyens Burkinabés. Certains opèrent au Mali depuis 2012 dans les rangs d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Dine à Tombouctou, le Mouvement pour l’unification et le djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), dans le Gourma, le cercle d’Ansongo et sont recrutés sur la base de facteurs proprement locaux, qu’ils soient sociaux, religieux, économiques ou politiques.

Sur le plan politico-judiciaire, sachant que son retour est conditionné par un passage à la case judiciaire, ne voulant revenir au pays qu’en négociant une amnistie, Blaise Compaoré risque de créer de nouvelles tensions. En effet, ayant fortement participé à l’ancrage d’une démocrature[3], aucune garantie n’existe prouvant le changement du mode de gouvernance fondé sur l’extension de la rente et l’instrumentalisation des ressources naturelles de l’ancien chef d’État, générant des niveaux élevés de corruption et pouvant conduire à des tensions/conflits civils ou à l’apparition/prolifération de groupes extrémistes[4].

Sur le plan international, il existe un risque potentiel de tensions diplomatiques entre le Burkina Faso et les chancelleries et institutions/organisations internationales. Elles seraient liées aux poursuites judiciaires et au mandat d’arrêt international émis par la Cour pénale internationale (CPI) contre l’ancien président, son extradition de Côte d’Ivoire, de même que celui de son petit frère de France, pour répondre devant la justice burkinabé sur les affaires d’assassinats de Thomas Sankara, du journaliste Norbert Zongo et des exécutions durant l’insurrection populaire de 2014.

Au final, la question sécuritaire dépasse l’idée d’un retour de Blaise Compaoré. Il y a des stratégies géopolitiques qui concernent plusieurs acteurs dans la zone sahélo-saharienne, à l’instar de l’Algérie, la France, les États-Unis, entre autres, dont l’aide reste déterminante. Il est donc illusoire de penser que son retour serait une panacée.

NOAH EDZIMBI François Xavier, Doctorant en Science Politique à l’Université de Yaoundé II.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.