Il y a environ deux mois, le gouvernement nigérian a annoncé la fermeture des frontières terrestres du pays à la circulation de tous les biens. Selon le contrôleur général des douanes du pays, Hameed Ali, il s’agissait de freiner l’afflux de marchandises de contrebande dans le pays, en particulier le riz et les tomates. Alors, qu’est-ce que le Nigeria a à gagner à travers cette mesure sans précédent?
Ali a souligné que la fermeture de la frontière avait considérablement augmenté les recettes provenant des droits d’importation. Cette augmentation des recettes est un coup de fouet pour un pays qui peine à résorber le déficit budgétaire de 2019 d’un total de 2,18 milliards de nairas. Cela représente environ 2% du PIB nominal du pays en 2018, qui s’élevait à 127 800 milliards de Naira (environ 397 milliards USD). En vantant les avantages de la fermeture de la frontière, toutefois, ces coûts latents ne doivent pas être ignorés. Selon certaines informations, la fermeture a placé le taux d’inflation du pays sur une tendance haussière. Le taux d’inflation, en baisse depuis avril 2019, a atteint 11,24% en septembre, principalement en raison de la forte hausse des prix des produits alimentaires, la plus élevée depuis juin.
Si la fermeture persiste et entraîne une hausse soutenue des prix des denrées alimentaires, le Nigéria pourrait voir davantage de personnes glisser vers la pauvreté. Cela entraînerait une augmentation du taux de pauvreté du pays d’environ 50%. Le potentiel de perturbation de la survie économique de nombreux commerçants qui dépendent du commerce transfrontalier légitime est réel. Pour ces raisons, entre autres, le Nigéria n’a pas d’autre choix que de s’attaquer aux véritables problèmes de la contrebande transfrontalière plutôt qu’à ses symptômes. Au cœur du problème se trouve un réseau de riches cartels de passeurs, aidés par des agents frontaliers corrompus.
Ce sont les pauvres qui payent le prix
Des milliers de Nigérians, en particulier des femmes, achètent et vendent des biens de consommation dans les zones frontalières. Ils achètent à bas prix dans un pays et vendent à des prix plus élevés dans un autre. Les agents de change du marché noir prospèrent aux postes frontières. Pour un pays où les possibilités d’emploi dans le secteur formel sont limitées, les activités informelles (65% du PIB du pays) le long des frontières sont essentielles à la survie de nombreux Nigérians pauvres. Le commerce informel le long des frontières est effectué par des marchands ambulants de biens divers tels que les textiles, les chaussures, l’alcool et les boissons non alcoolisées. Il existe également des trafics de produits alimentaires, de carburant, de services de transport et de devises étrangères. Au Nigéria, les pauvres ne s’engagent généralement pas dans la contrebande à grande échelle. Ils n’ont pas les moyens d’acquérir, de transporter et d’entreposer de grandes quantités de marchandises passées en contrebande. Certains pauvres Nigérians au chômage peuvent se livrer à un trafic clandestin et anodin, comme moyen de survie. Mais ils paient le prix de la fermeture de la frontière, tandis que les responsables des pires cas de contrebande vivent confortablement.
Outre ses implications nationales, la fermeture des frontières est également incompatible avec l’esprit d’intégration économique régionale. Le Nigéria a dirigé la création de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) il y a 44 ans, avec pour objectif principal la création d’une «zone de libre échange» entre les pays membres. La décision unilatérale du Nigéria renforce l’idée générale que le bloc régional n’a pas réussi à libérer le mouvement des biens, des services et même des personnes dans la sous-région.
Des agents de douane et d’immigration incompétents et corrompus
La fermeture de la frontière est un aveu implicite de l’incompétence des agents des douanes et de l’immigration du Nigéria. Pour
contrer la contrebande, le pays devrait renforcer la capacité des agents des douanes et de l’immigration à administrer les lois et politiques commerciales du pays. Pour lutter contre la contrebande, par exemple, la stratégie de Hong Kong consiste à profiler tous les véhicules de transport de marchandises et les voitures privées qui traversent la frontière. Des inspections détaillées ne sont effectuées que sur les véhicules à haut risque. Les scanners à rayons X permettent de détecter les compartiments cachés des véhicules. Mais toute cette technologie n’est utile qu’avec des fonctionnaires des douanes professionnels et non corrompus, ce qui fait défaut au Nigéria.
Quiconque a franchi les frontières terrestres nigérianes serait déconcerté par le manque de professionnalisme des responsables nigérians. Lorsque je me suis rendu dans un bus reliant Accra à Lagos il y a quelques années, nous avons été arrêtés à Seme, à la frontière entre le Nigéria et la République du Bénin. Après une brève inspection du bus, les douaniers ont accusé le conducteur de transporter des marchandises de contrebande. Le même autobus avait été inspecté quelques heures plus tôt par des douaniers ghanéens, togolais et béninois en partance d’Accra, qui n’ont trouvé aucune marchandise de contrebande. Au lieu de confisquer la contrebande, les agents ont plutôt demandé au conducteur de «régler» l’affaire. Apparemment, le «règlement» proposé par le chauffeur n’était pas suffisant et l’autobus n’était pas autorisé à se rendre à Lagos. En attendant un autre moyen de transport, j’ai vu de nombreux camions chargés de marchandises franchir la frontière sans être inspectés par les agents des douanes. Un habitant de la ville-frontière m’a informé que les propriétaires de camions avaient «réglé» à l’avance les agents des douanes. En dehors de cela, les frontières terrestres du pays sont très poreuses. Il existe de nombreuses voies illégales par lesquelles les marchandises en contrebande peuvent être transportées. Aucun document de voyage n’est requis sur ces itinéraires et il n’y a pas de contrôles.
Sans s’attaquer aux problèmes des agents de douane et d’immigration corrompus, ainsi qu’à la porosité des frontières nigérianes, on ne traitera que les symptômes du mal. Les solutions pourraient inclure le recrutement de nouveaux groupes d’agents des douanes, qui seraient formés à la lutte contre la contrebande et la corruption. Sinon, lorsque les frontières seront réouvertes, elles risquent être exploitées comme avec les anciens fonctionnaires qui profitent depuis des années de la contrebande.
Stephen Onyeeiwu, Professeur et directeur du département des sciences économiques à l’Allegheny University.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.