Le très médiatique infectiologue affirme avoir de nouvelles preuves que la chloroquine permet de soigner les patients atteints par le Covid-19. Il a mené un nouveau test sur 80 personnes et publie des résultats très concluants. Mais ses confrères restent sceptiques.
Malgré les critiques sur la méthodologie de sa première étude, le professeur Didier Raoult persiste dans ses recherches. Une seconde étude, publiée en ligne vendredi 27 mars par l’équipe du professeur en microbiologie, appuierait sa thèse selon laquelle la chloroquine (couplée à un antibiotique, l’azithromycine) est efficace dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19.
Spécialiste des maladies infectieuses à Marseille, Didier Raoult le proclame partout, après avoir testé ce médicament antipaludique sur 24 patients lors d’un premier essai. Selon lui, les trois quarts étaient guéris au bout de six jours. Si Olivier Véran, le ministre de la Santé, a donné son feu vert « pour qu’un essai plus vaste par d’autres équipes puisse être initié dans les plus brefs délais sur un plus grand nombre de patients », la communauté scientifique a critiqué la précipitation et la méthode du professeur Raoult, parce qu’elle manque de rigueur, selon elle. Franceinfo résume ce que l’on sait de cette seconde étude publiée par Didier Raoult.
La chloroquine serait efficace uniquement associée à un antibiotique
Les 80 patients de cette nouvelle étude ont reçu une association de chloroquine et d’azithromycine, un antibiotique pulmonaire. Les observations ont été faites in vitro et in vivo. « Nous faisons la démonstration que la combinaison des deux traitements a un effet synergique qui inhibe totalement la réplication du virus », indique l’équipe de chercheurs.
Selon eux, utilisés séparément, « l’hydroxychloroquine et l’antibiotique ont un effet faible ou nul sur la production virale ».
Cette formule fait partie des cinq traitements testés actuellement dans le cadre de l’essai clinique européen Discovery. Il a été lancé dans plusieurs pays sur 3 200 patients – dont 800 cas graves en France. Toutefois, les premiers résultats ne sont pas attendus avant deux semaines.
Avant l’administration du traitement, les risques cardiaques des patients ont été contrôlés : la combinaison de plaquenil et d’azithromycine peuvent en effet les augmenter. Les patients ont ensuite été traités cinq jours après l’apparition des symptômes, qui en général se déclarent cinq à six jours après l’infection.
Sur 80 cas, 78 patients ont guéri (mais une majorité avait une forme bénigne du Covid-19)
« La majorité des patients (81,3 %) avaient des résultats favorables et sont sortis de notre unité avec de faibles scores infectieux. Seulement 15 % ont nécessité une oxygénothérapie », détaille l’étude. Parmi les 80 patients donc, 65 sont sortis sans aggravation de leurs symptômes. Douze ont dû être mis sous oxygène, mais ont également pu être guéris. Trois autres sont passés en unité de soins intensifs –deux sont désormais guéris, et un homme de 74 ans y est toujours. Un patient de 86 ans est décédé à son arrivée à l’IHU Méditerranée Infection.
Cependant, la guérison des patients, même atteints d’une forme bénigne, peut être utile à la lutte contre l’épidémie puisqu’elle permet d’éviter la contagion et les complications. Le professeur Didier Raoult a par ailleurs toujours indiqué que la chloroquine n’était efficace qu’au premier stade de l’infection.
Une méthode un peu plus rigoureuse
Critiqué pour son manque de rigueur lors de la publication de sa première étude, le professeur Didier Raoult a cette fois suivi davantage les recommandations méthodologiques – même si,
cette fois encore, elle n’a pas été soumise à un comité de lecture scientifique avant sa parution sur le site Science Direct, reconnu comme sérieux par le milieu et qui met en accès libre des résumés d’articles scientifiques.
cette fois encore, elle n’a pas été soumise à un comité de lecture scientifique avant sa parution sur le site Science Direct, reconnu comme sérieux par le milieu et qui met en accès libre des résumés d’articles scientifiques.
L’exposé suit par ailleurs les règles éditoriales des publications scientifiques, « développant background, méthodes et procédures employées, résultats obtenus, débat contradictoire et tableau de références qui permettent à d’autres équipes de répliquer l’étude », analysent Les Echos.
Il a été rédigé en anglais et cosigné par treize chercheurs de l’IHU Méditerranée Infection et de l’unité de recherche Mephi (Microbes Evolution Phylogénie et Infection) d’Aix-Marseille Université.
Aucune conclusion possible en raison de l’absence de groupe témoin
Principal défaut de cette étude (qui était aussi celui de la première étude du professeur Raoult) : aucun groupe de contrôle (ou groupe témoin) n’a été mis en place dans le cadre de l’essai clinique. Constitué de patients qui ne reçoivent soit aucun traitement, soit un placebo, ce groupe de contrôle permet de mesurer l’efficacité du traitement testé. Sans groupe de contrôle, il est difficile, voire impossible, d’établir une comparaison pour déterminer si c’est bien le traitement qui est à l’origine de l’amélioration.
Le professeur Didier Raoult et ses collègues ont tenté de pallier ce manque en comparant leurs résultats à d’autres études, parmi lesquelles une étude menée à Wuhan, la ville chinoise dans laquelle l’épidémie a débuté. Dans cet essai clinique, 28% des patients sont morts. Initialement publiée dans la très prestigieuse revue The Lancet, cette étude a été menée sur 191 patients en Chine et les critères d’admission des patients étaient nettement différents, puisqu’ils présentaient tous des formes sévères de la maladie et souvent des facteurs de comorbidité. Difficile dans ces conditions de comparer les taux de mortalité, et donc l’efficacité du traitement.
Échantillon de patients trop petit, pas de groupe de contrôle, protocoles scientifiques non respectés… Ce manque de rigueur a une nouvelle fois été pointé par l’OMS ainsi que par de nombreux médecins et chercheurs. « Non, ce n’est pas énorme, j’en ai peur », a ainsi tweeté le Pr François Balloux, de l’University College de Londres, en réponse à un tweet enthousiaste qui qualifiait « d’énormes » les conclusions de l’étude.
Franceinfo