Covid-19 en Guinée : l’organisation de la riposte à l’épreuve de la réalité

L’épidémie due au coronavirus a été déclarée en Guinée dans un contexte socio-politique tendu en raison des tensions sociales et politiques liées à : la volonté du gouvernement d’organiser  les élections législatives couplées au vote référendaire pour le changement constitutionnel qui se sont tenus le 22 mars 2020.

La tenue régulière des manifestations de rue par le Front National pour la Défense de la Constitution décidé à empêcher le remplacement de la constitution de 2010 par une nouvelle.

L’appel à la grève à répétition lancé depuis plusieurs mois par le Syndicat Libre des Enseignants et Chercheurs de Guinée (SLECG) pour l’amélioration des conditions de vie des enseignantes et enseignants.

C’est donc un gouvernement éprouvé par de multiples crises sociales et politiques aux répercussions économiques incalculables qui a dû faire face à un nouveau virus jusque-là inconnu du monde médical et scientifique.

Dès la déclaration du premier cas de l’épidémie due au coronavirus en Guinée, les autorités sanitaires ont, au fur et à mesure, pris des dispositions qui sont caractéristiques d’un acheminement vers le confinement des populations, sans jamais utiliser ouvertement cette expression. Et comme souvent dans ce pays, tout est pris à la légère, même la protection de la vie humaine. Le philosophe espagnol «Ortega y Gasset » affirmait ceci : « No sabemos lo que pasa y esto es lo que pasa ». C’est à dire qu’on ne sait pas ce qui se passe et c’est justement ce qui se passe. Pourquoi cette ignorance? Pourquoi cette négligence face aux défis que nous imposent le virus sur le plan social?

L’ignorance du danger que représente le COVID-19

Se fondant sur l’expérience de gestion de la maladie à virus Ébola, mais surtout sur la médiatisation des dons de kits de lavage de main, l’on a vite donné l’impression que le principal geste barrière pour se prémunir du COVID-19 est le lavage de main. Le manque de matériels pour effectuer des tests de dépistage rapide au début de l’épidémie et les difficultés de prise en charge des cas suspects et positifs ont conduit, sans doute, en grande partie à la multiplication des cas d’infection. Dans un contexte sanitaire précaire associé à une morbidité élevée, notamment en période d’épidémie, les structures de santé déjà fragilisées par un manque d’investissements sont fortement éprouvées.

Le manque de données objectivées sur le comportement quotidien des populations face à l’application des gestes barrières est symptomatique de la profonde ignorance des acteurs de la riposte sur les modes de transmission communautaires du virus, et sur le danger qu’il représente en termes de santé publique.

Même la mesure disciplinaire consistant à payer une amende fixée à 30 000 francs guinéens imposée à toute personne qui ne respecte pas la mesure de port du masque, ne semble pas très dissuasive. Les forces de sécurité qui sont mises à contribution pour faire respecter la mesure-barrière paraissent dépassées par l’ampleur du phénomène.

La négligence face aux défis qu’impose le COVID-19

Le premier cas importé de covid-19 en Guinée a été confirmé le 19 mars 2020. En six semaines, le pays a franchi la barre de 1000 confirmations au test de laboratoire. Si au début la maladie se transmettait par le retour des voyageurs en provenance de pays déjà affectés, aujourd’hui, la contamination est devenue communautaire. L’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSS) a ainsi inscrit la progression de l’épidémie dans le pays dans sa phase III. L’hypothèse admise pour l’heure est celle qui consiste à croire que la promiscuité sociale serait un important facteur de risque de propagation de la maladie, dans un contexte de manquements avérés dans la prise en charge et le suivi des personnes ayant été en contact avec des malades testés positifs.

Au regard de l’ampleur de la situation, les autorités avaient finalement pris l’initiative de renforcer les mesures de sécurité
sanitaire, notamment auprès des voyageurs arrivant à l’aéroport international de Conakry. Les directives invitaient également à limiter les séances de rassemblement et au respect strict des mesures de lavage des mains. La mise en application de la limitation des déplacements à partir de 21h 00mn, quant à elle, n’a été adoptée que le 5 avril dernier, suivie une semaine plus tard de l’imposition du port du masque facial dans l’espace public, soit le 13 avril. La dernière mesure prise par le gouvernement est : l’interdiction stricte de tout mouvement de Conakry vers l’intérieur du pays.

L’imbroglio dans la gestion du COVID-19

La gestion de l’épidémie du coronavirus a été confiée, tout naturellement, à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSS) conduite par l’ancienne équipe de coordination de la lutte contre Ebola. Forte de son expérience durant la maladie à virus Ébola, la Guinée semblait mieux préparée que beaucoup de pays africains pour contenir la propagation du nouveau coronavirus sur son territoire, selon de nombreux experts. Les conflits de compétence, entre l’ANSS, le ministère de tutelle et les autres acteurs du système de santé, qui minent le bon fonctionnement de la structure sont mis au jour lors de la rencontre entre les acteurs impliqués dans la gestion du programme de riposte sanitaire du COVID-19 et le chef de l’État, le 4 avril. Avec la première expérience de gestion de l’épidémie d’Ebola, le dispositif de riposte ayant recours à la mobilisation excessive des ONG locales devrait être revue pour une meilleure réglementation. Cela semble difficile lorsque ce sont les hauts-cadres de l’Etat qui se cachent derrière ces structures “normalement” à but non lucratif. Soumettre le travail des ONG à une réglementation stricte menacerait donc des intérêts à l’image de ce qui s’est passé en 2014, « l’Ebola-business ».

L’augmentation effrénée du nombre de personnes testées positif et le décès de hautes personnalités donne l’impression d’être dans une impasse. L’ANSS est décriée de toute part. C’est dans ce contexte qu’est créé le 10 avril 2020, le Conseil scientifique de riposte contre le COVID-19 composé de 17 experts. Pour la première fois depuis son installation, le Conseil rencontre les médias pour communiquer sur ses premières analyses le 02 mai. Au regard du constat qu’il a dressé et qui rejoint une évidence que partage les guinéens depuis un moment, le Comité scientifique s’est contenté de reformuler des recommandations déjà connues.

Sans nécessairement remettre en cause les qualités intrinsèques des personnes qui le composent, il est légitime de se demander si le Conseil scientifique de riposte contre le COVID-19 dans sa composition actuelle permet de répondre à la mission qui lui est confiée. Compte-tenu du profil des membres actuels qui le composent, l’on peut se questionner sur l’absence d’un certain nombre d’expertises en son sein, comme dans le domaine de l’analyse des données, de l’économie, par exemple.

Les autorités auraient été, sans doute, plus inspirées en renforçant l’expertise de l’ANSS par la mise en place d’un groupe thématique “Recherche opérationnelle” que de mettre en place un Conseil scientifique qui, au regard de ses premières analyses, donne l’impression de répéter ce que tout le monde sait déjà.

A cette phase de la progression du virus, de nombreux défis émergent. Il est urgent de réévaluer les mesures déjà prises dans la lutte contre le COVID-19. Ceci doit reposer sur la collecte de données fiables, leur traitement et analyse par des spécialistes pour soutenir et accompagner les prises de décision dans la riposte contre le virus.

Mohamed Lamine Dioubaté, Ph.D, sociologue

Saïkou Oumar Sagnane, socio-anthropologue de la santé