TRIBUNE– L’impensable s’est donc produit : un virus est parvenu à mettre toute la planète à l’arrêt, à plonger le monde dans la récession, et toute notre technologie et nos connaissances n’ont rien pu y faire. Serons-nous capables d’en tirer les leçons ?
Province de Wuhan, décembre 2019 : une épidémie de coronavirus, le Covid-19, se déclare et met à rude épreuve les infrastructures sanitaires de la République populaire de Chine. Le gouvernement chinois emploie alors les grands moyens à travers un arsenal de mesures de prévention et de traitement des malades : confinement, mesures barrières, et construction en une semaine d’un immense hôpital pour traiter les malades.
Alors que tout le monde pensait que l’épidémie serait maîtrisée en Chine et ne s’étendrait pas au reste du monde, dès janvier 2020, d’autres pays enregistrent leurs premiers cas de Covid-19. Cette maladie respiratoire, extrêmement contagieuse, se répand rapidement dans le monde entier. D’épidémie, elle devient une pandémie qui s’étend en février et mars à l’Asie, l’Europe, l’Amérique et l’Afrique ainsi qu’à l’Australie.
Le monde à l’arrêt
Dans cette ère de mondialisation, les mouvements de personnes, notamment les voyages par avion, ont constitué un puissant vecteur de propagation du virus, les rassemblements dans les stades et autres événements de masse ayant fait le reste.
Au cours des quatre premiers mois de 2020, le monde entier est à l’arrêt. Derrière les frontières closes, de nombreux pays prennent des mesures de confinement partiel ou total pour endiguer la propagation du virus et maîtriser les chaînes de contamination. Les écoles et les usines sont fermées, les regroupements de foule limités, les avions cloués au sol, les trains immobilisés dans les gares. Pas une âme sur les célèbres avenues, ni sur la Cinquième à Manhattan, ni à Times Square, ni même sur les Champs-Élysées
Pour la première fois, sans doute, les lieux de culte sont fermés pour éviter les regroupements de personnes : les églises demeurent vides même pendant les fêtes pascales (Pâques est pourtant la fête la plus importante de la religion chrétienne), ainsi que les lieux saints de la Mecque pendant le ramadan.
Sans précédent
Cette crise sanitaire planétaire donne une image apocalyptique de notre monde pourtant largement post-industriel, un monde où la science a fait des progrès immenses au point, pour l’homme, de penser sérieusement à l’immortalité. Comment un virus peut-il mettre à si rude épreuve les infrastructures sanitaires des nations les plus développées comme les États-Unis et les pays d’Europe ?
L’on s’est subitement rendu compte de l’insuffisance des équipements de protection du personnel soignant, des appareils respiratoires, des masques de protection et des capacités d’accueil des malades dans les hôpitaux occidentaux. Qu’arrive-t-il à notre univers à l’âge du numérique, de l’intelligence artificielle et des trains à grande vitesse ?
Le monde n’a jamais connu, par le passé, un tel spectacle d’apocalypse. En effet, ni les grandes pandémies de peste en Europe du XIVe au XIXe siècle, ni la grande dépression de 1929, ni même la crise de 2008 n’ont eu une telle envergure globale, n’ont mis le monde entier à l’arrêt. Pendant les épidémies de peste, on pouvait tuer les rats dans les bâtiments car ces rongeurs ont toujours été des commensaux de l’homme. Mais le virus actuel est invisible et se colle à toutes les surfaces – métal, bois, tissu, papier – et y survit pendant longtemps.
Notre civilisation de masse est remise en cause : la distanciation sociale contrarie notre instinct grégaire et le port du masque nous rend méconnaissables ; les aérogares, les bouches de métro, les avenues, les lieux de spectacles, d’habitude bondés, ont fait place à des rues désertes, des aéroports
sans avions, des gares avec des trains immobilisés, des salles de spectacles fermées et des usines closes, donnant ainsi une image de fin du monde.
Dommages directs et collatéraux
Les conséquences de cette terrible pandémie seront désastreuses à la fois sur le plan humain et économique. Depuis le 28 avril, on compte plus de morts liés au Covid-19 aux États-Unis que pendant la guerre du Vietnam, qui a duré vingt ans (1955-1975), selon l’Université John Hopkins. Au 15 mai 2020, le monde comptait plus de 4 millions de personnes contaminées et près de 300 000 décès, selon la même université américaine. Le continent africain, quant à lui, enregistre un peu plus de 75 000 cas pour 2 500 décès, montrant ainsi, pour le moment, une certaine résistance. La Guinée, pour sa part, compte 2 400 cas confirmés et 14 décès.
L’économie mondiale entrera en récession avec un taux de croissance projeté de -3,03 % en 2020 et l’Afrique subsaharienne enregistrera un taux de croissance négatif de -1,56 %. Dans le cas de la Guinée, les services du FMI tablent sur un recul du PIB à 2,4 % contre une prévision de 6,3 %. Les répercussions sur les secteurs du tourisme et de l’hôtellerie, et sur le transport aérien seront de grande ampleur, comme le montrent déjà les premières faillites des compagnies aériennes, à l’instar de South African Airways, et les pertes financières des avionneurs comme Airbus et Boeing, qui se chiffrent, avant même la fin de la pandémie, en milliards de dollars.
Que s’est-il passé ? L’homme du XXIe siècle, si puissant, si avancé sur les plans scientifique, technique et technologique serait-il incapable de trouver une parade à ce tout petit virus ? Est-ce la fin de ce monde qui a pourtant fait atterrir l’homme sur la Lune et atteint l’âge du numérique ? Malgré tous ces progrès sans précédent, nous pouvons emprunter la pensée de Paul Valéry, et dire avec lui : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »
Désormais, il y aura le monde d’avant le Covid-19 et un monde post-Covid-19. Dans la période post-Covid-19, il va falloir rebattre les cartes, redessiner la mappemonde et la nouvelle culture qui en résultera. Ce sera un monde à économie fortement fragilisée, avec des taux de chômage élevés, des fermetures d’usines, la reconfiguration des centres hospitaliers, la prudence dans les manipulations génétiques et virales dans les laboratoires P4, l’aggravation de la pauvreté dans les pays en développement, l’augmentation de la dette des pays, surtout ceux à faible revenu, etc.
Il nous faudra, tirant les leçons de cette pandémie, remettre l’homme au cœur de la science et de l’économie, donc repenser notre humanité. Mais en serons-nous capables?
Par Mamadi Camara
Ministre guinéen de l’Économie et des Finances, macro-économiste
SOURCE : Jeune Afrique