Des dizaines de milliers de manifestants ont réclamé, vendredi, à Bamako, la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta. À leur tête, un homme à l’influence croissante : Mahmoud Dicko, un imam rigoriste, ancien allié d’IBK.
Pour la deuxième fois en un mois, les Maliens sont descendus en masse dans la rue, vendredi 19 juin, pour réclamer le départ du président Ibrahim Boubacar Keïta, surnommé IBK. Ils étaient des dizaines de milliers de manifestants à Bamako à répondre à l’appel du « Mouvement du 5 juin – Rassemblement des Forces Patriotiques » (M5-RFP), nommé d’après la première date de mobilisation.
« La crise est d’une gravité extrême », explique l’analyste Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité à Bamako, à l’AFP. « On savait que la colère était grande. Aujourd’hui, elle a un visage, elle a un porte-parole », en la personne de l’imam Dicko.
À la tête du M5-RFP, coalition hétéroclite rassemblant aussi bien des politiques, des militants anticorruption, des personnalités issues de la société civile et des religieux, on retrouve Mahmoud Dicko, un imam rigoriste. Cet ancien allié d’IBK est désormais l’un des plus fervents critiques du président, jugé par les manifestants responsable du recul de la croissance économique et de la persistance de l’insécurité, face aux attaques de jihadistes, notamment.
« Tout le monde est opposé ! Des problèmes communautaires, des problèmes dans l’armée, même entre les religieux… (des) problèmes entre tout le monde… Il y a un malaise dans le pays, il y a une mauvaise gouvernance. Il y a une corruption à ciel ouvert. Je le dis et je le redis ! », diagnostique-t-il dans une interview à RFI.
Président du Haut conseil islamique malien
À 66 ans, Mahmoud Dicko, issu d’une famille de notables de Tombouctou, est une figure familière des Maliens. De janvier 2008 à avril 2019, il préside le Haut conseil islamique (HCI)., un poste d’influence dans un pays à 95 % musulman. Si la majorité de la population est composée de sunnites malékites, Mahmoud Dicko incarne un courant rigoriste, inspiré du wahhabisme saoudien.
Ce père d’une dizaine d’enfants, nés de ses deux femmes, s’est notamment fait un nom en s’opposant en 2009 à l’adoption d’un nouveau code de la famille censé notamment moderniser les usages matrimoniaux, familiaux et successoraux au Mali. Il contraint alors le gouvernement à adopter un texte beaucoup moins ambitieux que prévu, notamment sur les droits des femmes. Plus récemment, il a aussi fait censurer un manuel scolaire d’éducation sexuelle qui abordait l’homosexualité.
Du soutien à la défiance envers IBK
Cependant, Mahmoud Dicko n’est pas systématiquement dans l’opposition. En 2013, il compte parmi les soutiens à IBK lors de la présidentielle de 2013. Il sera même de quelques voyages présidentiels, notamment dans les pays du Golfe dont il est fin connaisseur, grâce à sa formation dans les écoles coraniques d’Arabie saoudite.
Cet érudit s’impose également comme un intermédiaire privilégié avec les jihadistes. Sa connaissance de l’islam et son rigorisme religieux lui conférant un certain crédit auprès d’eux, tandis qu’il jouit d’une relative confiance de la part des élites maliennes. Dans la crise sécuritaire malienne, il est le chantre d’un dialogue avec les rebelles.
En avril 2019, il obtient le renvoi du Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, en organisant des grandes manifestations. Ce partisan d’une ligne dure et jugé responsable de l’aggravation de la crise sécuritaire au centre du
Mali.
Mali.
Un glissement du religieux dans le politique
L’imam à la barbichette blanche crée son mouvement, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS), en septembre 2019. Depuis, Mahmoud Dicko est devenu un critique vigoureux du pouvoir d’autant qu’il jouit d’une large assise populaire au Mali. Avec le lancement du CMAS, beaucoup lui ont prêté des intentions politiques, ce dont il se défend.
Le charismatique prêcheur a su fédérer la contestation contre IBK en canalisant l’exaspération nourrie depuis des mois par la mort de milliers de personnes tuées ces dernières années dans les attaques jihadistes et les violences intercommunautaires, le ressenti de l’impuissance de l’État, le marasme économique, la crise des services publics et de l’école et la perception d’une corruption répandue. Cependant, selon l’imam, la Cmas n’est pas un parti, mais un mouvement qui a pour « idéaux » des visions religieuses, sociétales et politiques.
« Beaucoup d’opposants qui n’auraient eu aucune chance d’accéder au pouvoir ont décidé de s’appuyer sur l’imam et ses milliers de fidèles, lui conférant un grand pouvoir politique », analyse le chercheur Aly Tounkara, dans Le Monde.
Le président Keïta, a tendu la main ces derniers jours à ses adversaires, en ouvrant la voie à un gouvernement « d’union nationale ». Il a aussi fait des concessions aux enseignants en grève, en promettant les augmentations de salaire qu’ils réclament depuis des mois
Mais ce n’est pas suffisant pour Mahmoud Dicko : « Il n’a pas tiré la leçon, il n’écoute pas les gens. Mais cette fois-ci, il va comprendre », avait averti avant la manifestation de vendredi tout en appelant au calme et à la non-violence
« Je ne suis pas quelqu’un qui casse mon pays ou qui mets le feu dans mon pays », a assuré à Radio France Internationale l’imam Dicko, qui devrait annoncer la date d’une nouvelle mobilisation dans les prochains jours.
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