Dans une déclaration à la télévision nationale, IBK a annoncé ce 19 août sa démission, celle du gouvernement et la dissolution de l’Assemblée nationale depuis le camp militaire de Kati.
C’est très ému, presque au bord des larmes que le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, âgé de 75 ans, au pouvoir depuis 2013 a annoncé dans la nuit de mardi à mercredi sa démission et la dissolution du Parlement et du gouvernement, quelques heures seulement après avoir été arrêté par des militaires en révolte. C’était en direct sur la télévision nationale, l’Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM), aux alentours de minuit, heure locale et depuis le camp Soundiata Keïta de Kati, la plus importante ville garnison du pays située à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Bamako d’où était partie huit ans auparavant la mutinerie qui avait conduit à la chute de son prédécesseur, l’ancien président Amadou Toumani Touré.
« Je ne souhaite qu’aucun sang ne soit versé »
Et le moins que l’on puisse dire c’est que « IBK », vêtu d’un boubou blanc avec son traditionnel bonnet, et un masque facial, a pesé chacun de ses mots, sachant combien les enjeux sont immenses, alors que le pays replonge dans une nouvelle période d’incertitudes. « Si aujourd’hui il a plu à certains éléments de nos forces armées de conclure que cela devait se terminer par leur intervention, ai-je réellement le choix ? M’y soumettre, car je ne souhaite qu’aucun sang ne soit versé pour mon maintien aux affaires », a-t-il dit d’une voix grave aux citoyens maliens et aux militaires de tout rang.
Le président malien toujours aux mains de mutins était contesté dans la rue depuis de longs mois, voire des années, certains observateurs font remonter les premiers signes de mécontentements au moment de sa réélection contestée en août 2018. Entre-temps, IBK était devenu le symbole de l’impuissance de l’État dans un pays déchiré par les attaques djihadistes et les violences communautaires. La mutinerie, commencée mardi matin, a précipité sa chute.
« Pendant sept ans, j’ai eu le bonheur et la joie d’essayer de redresser ce pays du mieux de mes efforts », a dit le président Keïta, ajoutant avoir œuvré depuis son élection en 2013 à redresser le pays et à « donner corps et vie » à l’armée malienne, confrontée depuis des années aux violences djihadistes.
« C’est pourquoi je voudrais en ce moment précis, tout en remerciant le peuple malien de son accompagnement au long de ces longues années et la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment », a dit le président Keïta. « Et avec toutes les conséquences de droit : la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement », a-t-il ajouté dans cette allocution qui aura duré en tout quatre minutes. Avant de conclure : « Je n’éprouve aucune haine ».
De la mutinerie au coup d’État
Tôt la veille, des informations issues initialement de sources diplomatiques ont fait état d’une mutinerie en cours sur la base militaire de Kati, dans la banlieue de Bamako. Au fil de la journée, il est apparu clairement que des éléments de l’armée malienne prenaient le pouvoir. Enfin, dans l’après-midi, un porte-parole du groupe a annoncé que le président Keïta et le Premier ministre Boubou Cissé avaient été « arrêtés ». Des médias locaux ont isolé deux personnalités parmi les militaires putschistes : le colonel Malick Diaw – chef adjoint du camp de Kati – et un autre commandant, le général Sadio Camara.
Ensuite tout est allé très vite, l’organisation régionale de l’Afrique de l’Ouest, la Cedeao, a condamné l’action de « militaires putschistes » et a pris une série de mesures d’effet immédiat pour isoler le Mali. L’action des mutins a aussi suscité des protestations de l’Union africaine, de l’ONU, de l’Union européenne et
de la France, dont 5 100 militaires sont déployés au Sahel, en particulier au Mali, dans le cadre de l’opération antijdihadiste Barkhane.
Les raisons de la colère
Les raisons de la colère
Cet épilogue est l’aboutissement d’une crise déclenchée en juin avec l’éclosion d’une contestation lancée par une coalition hétéroclite de chefs religieux, d’hommes politiques et de membres de la société civile. Le Mouvement du 5 juin (M5-RFP), en réclamant le départ du président Keïta, exprimait l’exaspération nourrie par les milliers de victimes ces dernières années des attaques djihadistes et des violences intercommunautaires, par le spectacle de l’impuissance de l’État, la crise des services publics et de l’école et la perception d’une corruption répandue. Mais aussi par une crise économique aggravée par l’impact de la pandémie de Covid-19. Le week-end du 10 juillet, une manifestation avait dégénéré en trois jours de troubles meurtriers, les plus graves à Bamako depuis le coup d’État de 2012.
Le chef de l’État essuyait jusqu’ici sans trop de dommages les critiques d’une opposition divisée, fort du soutien de la communauté internationale, et notamment de la France, ex-puissance coloniale, qui s’appuie sur lui dans la lutte contre les djihadistes.
Face à la contestation, « IBK » avait assuré que sa main était « toujours tendue » et, sous la médiation de la Cedeao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest), avait accepté l’idée de former un gouvernement d’union nationale.
Un virage délicat pour ce natif de Koutiala (Sud), qui a gardé de sa fréquentation de prestigieux établissements français dans sa jeunesse, non seulement un phrasé châtié, mais aussi une conception centralisatrice du pouvoir. « Il est pour un pouvoir fort, centralisé, c’est sûr », affirme un ancien compagnon de route qui s’est confié à l’Agence France-Presse.
Mais les dirigeants de la contestation ont décliné les gestes d’ouverture du chef de l’État et les appels de la Cedeao, en réitérant leur « demande de démission du président Ibrahim Boubacar Keïta et (de) son régime ».
Une crise qui a pris un tour d’autant plus personnel pour IBK que les contestataires ont continuellement désigné à la vindicte son fils Karim, présenté comme un noceur, qui a démissionné mi-juillet de l’importante présidence la commission parlementaire de la Défense. Dans Bamako, les mutins ont été acclamés par des manifestants rassemblés pour réclamer le départ du président aux abords de la place de l’Indépendance, épicentre de la contestation qui ébranle le Mali depuis plusieurs mois.
IBK, un vieux briscard de la politique malienne aux multiples facettes
Ibrahim Boubacar Keïta, plus connu de ses compatriotes sous le surnom d’IBK est un vieux routard de la politique malienne, né en 1945 à Koutiala, située dans la région de Sikasso, dans le sud-est du Mali, près de la frontière avec le Burkina. Issu d’une famille nombreuse qu’il présente comme descendante de la dynastie Keïta, il a commencé sa scolarité dans cette région natale avant de s’envoler pour Paris en 1958 lorsqu’il remporte le concours général organisé par les Français dans chacune de leurs colonies. Les établissements les plus prestigieux de Paris lui ouvrent leurs portes. Janson-de-Sailly pour le lycée, puis retour au lycée Askia-Mohamed de
Bamako, comme l’a souhaité sa mère. Le bac en poche, il s’inscrit à la faculté des lettres de l’université de Dakar, puis à la Sorbonne, à Paris, où il effectue une maîtrise d’histoire. Également diplômé en relations internationales, il est, après ses études, chargé de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). C’est en 1992 qu’IBK découvre la politique après un début de carrière dans l’aide au développement. Il devient alors le protégé d’un certain Alpha Oumar Konaré, ancien président malien qui en fait tour à tour son conseiller diplomatique, son porte-parole, son ministre des Affaires étrangères et enfin son Premier ministre entre 1994 et 2000.
Durant ses études à Paris, IBK a été responsable de l’Association des étudiants et stagiaires maliens en France (AESMF), qui était une des sections de la Fédération des étudiants africains de France (FEANF). Il y rencontre notamment Alpha Condé, actuel président guinéen. L’engagement militant d’IBK contre le régime militaire alors en place à Bamako lui vaudra par ailleurs une suspension de sa bourse d’études octroyée par l’État malien. Mais rien n’arrête la motivation du jeune étudiant qui se décrit alors comme socialiste, il enchaîne les petits boulots en tant que manutentionnaire ou ouvrier chez Citroën. Ex-karatéka, IBK a obtenu un 2e dan. Un palmarès qui tranche avec sa vie de fêtard dans les boîtes de nuit parisiennes, amateur de cigares qu’il fut.
Marié à Aminata Maïga Keïta, avec laquelle il a eu quatre enfants, IBK est un musulman pratiquant qui se rend chaque vendredi à la mosquée, fait le pèlerinage à La Mecque. Ce qui le rapproche dans un premier temps de l’imam Mahmoud Dicko, alors président du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM), sorte de relais entre les associations musulmanes, les mosquées et les autorités. Un atout de taille qui place IBK naturellement sous les bons auspices de nombreux chefs religieux du pays. Après ses échecs aux présidentielles de 2002 et 2007, où il avait été battu coup sur coup par Amadou Toumani Touré, c’est en 2013 qu’il a enfin accès au palais de Koulouba après une large victoire saluée par les Maliens. Il sera réélu en 2018 face à Soumaïla Cissé, leader de l’opposition détenu par de présumés djihadistes depuis mars dernier.
Un deuxième mandat qui ne sera pas allé à son terme…
Entre-temps, la donne du djihadisme a tout changé. La communauté internationale attend du vainqueur, qui entrera en fonction le 4 septembre, qu’il relance l’accord de paix conclu en 2015 avec l’ex-rébellion à dominante touareg, dont la mise en œuvre accumule les contretemps et qui n’a pas empêché les violences de se propager du nord vers le centre du pays et vers le Burkina Faso et le Niger voisins. L’ONU mène également dans le pays sa plus importante mission actuelle, tandis que la force du G5 Sahel s’y déploie progressivement. Des problématiques visiblement pas à l’ordre du jour des militaires putschistes, dont on ne connaît toujours ni les motivations ni le plan d’action. Une chose est sûre, euphorique, les Maliens vont se coucher puis se réveiller sans chef de l’État.