Surnommé la Suisse ou encore le Singapour de l’Afrique, le succès économique fulgurant du Rwanda force d’autant plus l’admiration que le pays des mille collines était le théâtre du dernier génocide du XXe siècle. Si le génocide cambodgien évoque Pol Pot et l’Holocauste Hitler, le cas du Rwanda nous renvoie à une date tragique. Celle du 6 avril 1994 où l’on assista au massacre de 800.000 personnes, majoritairement des Tutsis, le tout en l’espace de 100 jours, sur un territoire d’une superficie de 26.338 km2.
Le comble de l’horreur révélait alors la noirceur de l’âme humaine.
Aujourd’hui, lorsque l’on examine les indicateurs de développement du Rwanda, il semble difficile de croire qu’il y a à peine 27 ans, de telles atrocités aient pu s’y dérouler en plein jour.
Avec un taux de croissance moyen de plus de sept pour cent par an depuis 2000, le Rwanda est aujourd’hui l’un des premiers pays africains en termes de croissance économique.
Selon la banque mondiale, la forte croissance économique du pays s’est accompagnée d’une amélioration significative des conditions de vie. Le taux de mortalité infantile a baissé de deux tiers et le pays a presque atteint l’objectif d’éducation primaire universelle. Le taux de pauvreté a baissé de 77 % en 2001 à 55 % en 2017, tandis que l’espérance de vie à la naissance est passée de 29 à 69 ans entre le milieu des années 1990 et 2019. Le taux de mortalité maternelle a en revanche chuté sur la même période, pour passer de 1 270 à 290 décès pour 100 000 naissances vivantes et la couverture de l’assurance maladie est de quatre-vingt-sept pour cent.
Le coefficient de Gini, qui mesure le niveau des inégalités, a baissé de 0,52 à 0,43 entre 2006 et 2017. Selon les chiffres officiels, les investissements réalisés dans l’agriculture, l’énergie, les infrastructures, les mines et le tourisme ont permis à plus d’un million de personnes de sortir de la pauvreté.
Le Rwanda s’est résolument engagé dans une dynamique de développement spectaculaire et sert désormais d’exemple aux économies en développement de tout le continent africain. Au classement Doing Business 2020 de la Banque Mondiale, le pays occupe la deuxième meilleure position en Afrique subsaharienne derrière Maurice. Ce sont les deux seuls pays de la région à figurer parmi les 50 premières économies du monde. L’indice de perception de la corruption 2020 de Transparency International le classe au rang de 49ème sur 180 pays, faisant du Rwanda l’un des pays les moins corrompus du continent.
Le pays se distingue en outre par la parité, avec 64 % des sièges occupés par des femmes au Parlement, 50% des Ministères et 44% des fonctions dans l’appareil judiciaire. En matière de politique environnementale, il est en avance sur son temps puisqu’il a été le premier pays à prendre la décision d’interdire les sacs en plastique en 2004 et l’écotourisme y est développé.
A côté de l’accueil chaleureux des rwandais et de leur sens élevé de la discipline et de la responsabilité, c’est l’incroyable propreté du pays qui séduit plus d’un visiteur.
Comment une nation dévastée par le génocide a réussi à devenir l’une des économies à la croissance la plus rapide d’Afrique ?
Presque tous les commentateurs attribuent la résurgence du Rwanda au leadership visionnaire d’un seul homme, le président Paul Kagamé. Connu pour son charisme et sa volonté de fer, il a déclaré : « Nous avons tiré des leçons qui devraient nous éclairer sur la manière de construire notre avenir. Pour construire l’avenir, nous avons commencé par réapprendre à conjuguer le verbe « être » au pluriel et à nous dire que nous sommes tous des Banyarwanda. Oublier qui est Tutsi, qui est Hutu, qui est Twa. Dépasser la haine ».
Il ressort de cette déclaration que la priorité a été d’abord donnée à l’unité et à la réconciliation. À cette fin, les tribunaux gacaca, en référence au système traditionnel de justice, ont été relancés, permettant à la communauté de juger les auteurs des crimes et d’accepter leur demande de pardon. Grâce à ces tribunaux traditionnels, les survivants ont pu en savoir plus sur la mort de leurs proches, mais aussi sur les criminels qui ont avoué leurs actes et reconnu leur culpabilité. En dix ans, les juridictions gacaca ont jugé 1,9 million d’affaires, avant leur fermeture officielle en mai 2012.
Dans le même temps, les institutions judiciaires publiques ont été réhabilitées afin de juger les affaires les plus graves. Sur le plan international, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), créé le 8 novembre 1994, a reconnu que « le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ont été perpétrés à une échelle effroyable », atteignant « un taux de tuerie quatre fois plus élevé qu’au plus fort de l’Holocauste nazi ».
Ensuite, le gouvernement rwandais a pris des mesures pour éradiquer la culture de la corruption et du tribalisme qui était une caractéristique de l’ère pré-génocide. Prônant la responsabilité à la base, Kagamé a réintroduit la pratique précoloniale de l’imihigo, qui, dans la tradition rwandaise, était un processus par lequel les dirigeants communautaires déclaraient leurs objectifs à leurs chefs de tribu et aux membres de leur tribu, qui en réponse s’engageaient à les soutenir dans leur réalisation. Autrefois oraux et entérinés par une cérémonie, ils sont aujourd’hui écrits et signés, mais leur fonction reste la même : ils engagent l’individu à réaliser un certain nombre de tâches pendant une année, au terme de laquelle sa performance est évaluée par la communauté.
Dans sa forme moderne, l’imihigo est un événement annuel au cours duquel les élus locaux présentent une déclaration d’objectifs pour l’année à venir, ainsi qu’un rapport montrant leurs progrès par rapport aux objectifs de l’année précédente. Cette méthode a largement contribué à l’amélioration des services publics dans le Rwanda actuel, qui a opté pour une démocratie consensuelle et un partage du pouvoir.
Il convient également de faire mention de « l’Ubudehe », le système d’entraide sociale destiné à accroître la production vivrière au sein des familles.
Enfin, le gouvernement rwandais a considérablement renforcé son attractivité pour les investissements directs étrangers en investissant dans ses infrastructures, en maintenant une monnaie stable, en investissant dans l’éducation et en se présentant au monde comme une destination d’investissement politiquement stable et à faible risque. En 2008, le pays a également changé la langue d’enseignement, passant du français à l’anglais, afin de mieux préparer sa main-d’œuvre à faire des affaires sur le marché mondial.
L’esprit d’entreprise s’est infiltré à tous les niveaux de la société rwandaise. Le pays dispose d’un vaste secteur informel composé principalement de vendeurs de produits alimentaires d’origine locale. La capitale du pays, Kigali, abrite désormais une communauté croissante de jeunes entrepreneurs prospères, produits et nourris par ses divers centres technologiques et incubateurs d’entreprises. La volonté du gouvernement de promouvoir le Rwanda en tant que destination touristique mondiale a permis à de nombreux Rwandais de trouver un emploi dans le secteur de l’hôtellerie, en offrant aux visiteurs des paysages à couper le souffle et la vie sauvage du pays.
En outre, la Cité de l’innovation qui sera construite dans le cadre d’Africa50, la plateforme de développement des infrastructures de la Banque africaine de développement (BAD), promet également un bel avenir technologique au Rwanda, qui est désormais bien placé pour devenir une plateforme régionale des TIC. D’autant qu’en septembre 2018, l’intelligence artificielle (IA) a officiellement fait son entrée dans le cursus universitaire, grâce à un master lancé par l’expert sénégalais Moustapha Cissé, responsable du centre de recherche en IA de Google au Ghana, et par l’Institut africain des sciences mathématiques (AIMS) de Kigali.
Un quart de siècle après le génocide contre les Tutsis au Rwanda, la nation divisée, dévastée, disloquée, est aujourd’hui résolument tournée vers l’avenir et prépare le terrain pour ce qui pourrait un jour être appelé le miracle rwandais.
Et ce miracle, dont le point de départ aura été un ambitieux projet de reconstruction et de régénération, dans un pays où tout était à reconstruire, repose sur une recette simple en apparence : bonne gouvernance, mobilisation de la population et bonne captation des ressources financières internationales. Encore faudrait-il y mettre de la volonté !
Par Lamine Baldé «Parisien»