Chronique de Jean-Baptiste Placca / « Un peu plus d’égard pour l’opposition tchadienne »

« Patriote », « droit », « juste » et « bon »… Étonnant, comme l’attachant maréchal Déby que décrivent certains de ses pairs, ses partisans et sa famille, semble différent de l’homme qu’observait l’autre partie de son peuple, et que combattaient ses adversaires, ses opposants. Si seulement les chefs d’État pouvaient montrer la même bonté pour leurs peuples que pour leurs familles.

Au moment même où était proclamée sa victoire à la dernière présidentielle, Idriss Déby Itno, le maréchal du Tchad, blessé au front, est donc mort, en début de semaine. Au regard des vibrants hommages qui lui ont été rendus, hier vendredi, à Ndjamena, on se demande comment des opposants peuvent en avoir autant voulu à cet homme

On peut s’interroger, en effet, et il est même impérieux, pour les héritiers du maréchal, comme pour ses opposants, les rebelles, et même pour les chefs d’État africains, de méditer ce mystère : comment un leader aussi déterminé, un époux aussi exemplaire, un père si aimant, et si même tendre… a-t-il pu susciter autant de rejet, autant de haine, de la part de ses adversaires, dont certains sont devenus des ennemis, qui ont fini par lui ôter la vie ?

La leçon, pour les opposants, est qu’ils ont eu beau contester son pouvoir, dans la rue et ailleurs, il leur a manqué la mobilisation décisive, déterminante, pour empêcher l’élection. Et, lorsque d’autres tuent le maréchal, c’est un troisième larron, sa descendance, qui s’empare du pouvoir. D’autres peuples du continent l’ont déjà appris à leurs dépens.

Que dire de la famille politique du maréchal ?

Quelle déception ! En écoutant certains membres de son parti, incapables, en des circonstances aussi douloureuses, d’adopter le ton de la réconciliation, l’on comprend qu’ils soient incapables de montrer en quoi le maréchal aimait effectivement tout son peuple, et pas seulement ceux qui partageaient sa vision. Rien que des discours de positionnement, laudateurs et obséquieux pour l’héritier, et agressifs pour l’opposition, ce qui indiquent qu’ils ne concéderont rien. Peut-être que le maréchal n’était pas, à lui seul, le problème…

Nombre d’orateurs ont dit qu’il a beaucoup donné à l’Afrique

Incontestablement ! Et le label panafricaniste que lui ont décerné, hier, certains chefs d’Etat, n’est pas usurpé. Il a gagné le respect des peuples du continent, en volant au secours du Mali, en 2013. Ce pays était bien en grand danger, lorsque François Hollande et Idriss Déby y ont déployé des troupes et barré la route de Bamako aux jihadistes. Idriss Déby Itno avait alors sauvé l’honneur de l’Afrique, à ce moment-là. Car, sans lui, l’opération aurait été dénoncée comme une expédition coloniale. Il n’est point besoin d’adorer l’homme, pour admettre que, sans lui, la carte de l’Afrique aurait peut-être changé, à tout jamais.

Un grand guerrier, qui meurt au front, n’est-ce pas, effectivement, glorieux ?

Trente ans à faire la guerre, cela mérite une réflexion plus lucide. Surtout lorsque l’on sait que certains de ceux qui ont tué le maréchal étaient, naguère, ses compagnons ou ses collaborateurs, entrés en dissidence. Le citant, Emmanuel Macron a souligné que les batailles qu’il a menées ont toujours eu pour finalité la défense de l’intégrité du territoire et des intérêts du Tchad. Soit ! Mais comment ne pas s’interroger sur ce qu’il a fait de ses successives guerres victorieuses ! La vocation du grand militaire est aussi de trouver les moyens d’en finir avec les guerres.

À l’héritier, consacré, de fait, sur le trône, de méditer sur l’intérêt à montrer un peu plus d’égard pour l’opposition politique, afin de démonétiser ces rébellions, souvent d’inspiration clanique, qui n’ont aucun projet pour le peuple tchadien. Tous ne rêvent, d’ailleurs, que de prendre, à leur tour, le contrôle de cette « mangeoire », pourtant de plus en plus vide.

RFI