Rendons à Sarkozy ce qui est à Sarkozy. Le 6ème président de la Vème République Française fut le premier à exprimer un état d’âme sur les turpitudes de la Françafrique, ce néologisme devenu gênant, ce pataquès qui sonne comme un lourd secret de famille. Son discours de Cotonou qui fut plutôt bien accueilli ne nous fera néanmoins pas oublier celui de Dakar même si nous y avions senti sans trop y croire, la vague idée de rompre avec «l’Afrique de Papa».
Entré à l’Élysée sous l’aulne de Jules Ferry (le père spirituel de la colonisation !), son successeur, François Hollande, lui, n’avait décidément rien à laisser espérer. On se douta vite qu’il se contenterait de gérer le statuquo dans la droite ligne de Giscard, de Mitterrand et de Chirac. L’Afrique ne retiendra de son seul et unique mandat que le zèle qu’il mit à chouchouter ses amis, Alpha Condé, Mahamadou Issoufou et Sassou Nguesso. On se souvient du ouf de soulagement que poussa le président guinéen à l’issue de la présidentielle française de 2012 : « Maintenant que Hollande est élu, je peux dormir tranquille». Le copinage, toujours le copinage, cette tare congénitale des relations franco-africaines !
Venu de nulle part pour ainsi dire (en tout cas, ni du sérail ni des réseaux parallèles de Jacques Foccart), Macron fut bien plus déconcertant. Avec son air ingénu et sa rhétorique de premier de la classe, personne ne savait s’il fallait le plaindre ou le craindre. Et puis, voilà que le jeune énarque tint tête avec brio aussi bien à Poutine qu’à Trump et Erdogan. Dans les palais, l’on se mit à se gratter la tête : et si cet homme n’était pas qu’une simple bête à concours mais un homme d’Etat au caractère bien trempé ? Dans l’autre camp, celui des partis d’opposition et de la masse informe des frustrés et des mécontents, l’accueil fut sinon froid, du moins légitimement prudent. «Ce sera un président français comme un autre, se dit-on avec une petite pointe d’exaspération. Il est là pour préserver le système en dépit des belles promesses et des beaux discours.»
Seulement, ceux-là aussi se mirent à se gratter la tête après le discours d’Alger et celui fort sympathique sur les tirailleurs sénégalais. Rendons donc à Macron aussi ce qui lui revient : il fut le premier dirigeant européen à reconnaître que la colonisation fut un crime contre l’humanité. Le premier président français à célébrer de la manière la plus brillante et la plus sincère, les tirailleurs sénégalais, ces «nègres et ces bougnoules» qui participèrent glorieusement à la libération de la France avant de devenir les sales immigrés que l’on sait. Alors, que faut-il y voir : les signes avant-coureurs du grand chambardement ou un simple catalogue de bonnes intentions ?
Serait-il sincère, Macron réussira-t-il à faire plier les vieux crocodiles de la FrançAfrique ? On en doute. Il n’avait que deux ans quand Denis Sassou Nguesso est arrivé au pouvoir, 5, quand Paul Biya a pris les rênes du Cameroun. Ajoutons que sa réaction plus qu’ambigüe devant la réélection illégale d’Alpha Condé et d’Alassane Ouattara et surtout sa passivité dans la succession dynastique récemment intervenue au Tchad, ne nous rassurent guère quant à sa volonté de purger le vieux «machin».
Et puis, n’est-il pas déjà trop tard ? Devenue complètement irréformable, la FrançAfrique des années 2000 rappelle drôlement le communisme des années 70. On ne peut plus rien pour elle. On ne peut que la laisser donner ses derniers coups de griffe et crever. Crever et provoquer du coup « l’éclatement de l’empire », comme, l’avait prédit (dans le cas soviétique, tout au moins), Hélène Carrère d’Enchausse, des années avant la chute du mur de Berlin.
Tierno Monénembo