Bah N’Daw et Assimi Goïta : comment la transition malienne a basculé

Le vice-président Assimi Goïta a démis de leurs fonctions le président Bah N’Daw et le Premier ministre Moctar Ouane. Jeune Afrique raconte les coulisses de ce nouvel épisode décisif de la transition malienne.

Depuis la reconduction de Moctar Ouane au poste de Premier ministre par Bah N’Daw, le 14 mai, des rumeurs persistantes n’avaient pas tardé à circuler. Elles faisaient état de bisbilles entre l’ex-junte malienne (Conseil national pour le salut du peuple, CNSP, dissoute en janvier 2021) et le président Bah N’Daw au sujet du maintien de Ouane à la tête du gouvernement, lequel devait s’ouvrir aux regroupements politiques.

Tout s’est finalement accéléré le dimanche 23 mai, aux alentours de 17 heures, lorsque le vice-président de la transition, le colonel Assimi Goïta, accompagné de quelques proches, s’est invité au palais de Koulouba. Furieux d’avoir été écarté de la formation du nouveau gouvernement, qui était alors en cours, Goïta entendait protester contre la mise à l’écart dans la future équipe de deux membres influents de l’ex-CNSP, les colonels Modibo Koné et Sadio Camara.

Estimant avoir un droit de regard sur la formation du gouvernement et, surtout, sur les nominations à la Défense et à la Sécurité (comme le lui concède la charte de la transition), le vice-président a demandé à Bah N’Daw de revenir sur leur éviction. Selon nos informations, Goïta a alors menacé son supérieur officiel de sanctions « irréversibles » si ce dernier venait à ne pas suivre son conseil. L’heure en était alors encore aux négociations, même si celles-ci s’annonçaient musclées.

La « stupéfaction » de Goïta

Le cas de Sadio Camara, qui occupait le poste de ministre de la Défense, a en effet fait débat jusque tard dans la journée du dimanche 23 mai. « Ce remaniement a été une bataille d’hégémonie entre le président de la transition, qui voulait s’émanciper, et le camp militaire, qui souhaitait garder ses hommes et provoquer un changement de Premier ministre », explique à Jeune Afrique une source proche de Moctar Ouane. Mais le bras-de-fer a tourné à l’affrontement.

Selon nos sources, le président Bah N’Daw a ainsi choisi de faire fi des menaces et a refusé de se plier aux demandes d’Assimi Goïta. Lundi 24 mai aux alentours de 16 heures et sur les ondes de l’ORTM, le Dr Kalilou Doumbia, secrétaire général de la présidence, dévoilait ainsi le visage du deuxième gouvernement de la transition, au sein duquel les colonels Modibo Koné et Sadio Camara ont bel et bien été remplacés par des généraux.

« Moctar Ouane est arrêté par des militaires de la garde nationale, dirigée par Sadio Camara et Modibo Koné

Chez Assimi Goïta, la stupeur est totale. « C’est avec stupéfaction que le vice-président Goïta a découvert à la télévision la liste finale du gouvernement », confie un proche du Comité national de transition. Le colonel ne peut perdre la face : il décide d’agir. Quelques minutes plus tard, Moctar Ouane voit alors débarquer à son domicile des militaires de la garde nationale, un corps dirigé par Sadio Camara et Modibo Koné.

Il est arrêté sur le champ et conduit au palais présidentiel de Koulouba. Bah N’Daw est alors à son tour arrêté avec son conseiller spécial, le Dr Kalilou Doumbia. Aussitôt, le cortège du président et de son Premier ministre interpellés file vers le camp militaire de Kati avec à son bord le couple exécutif, le conseiller spécial de la présidence, ainsi que le nouveau ministre de la Défense (nommé quelques heures plus tôt), le général Souleymane Doucouré.

Les « menaces » de l’ex-junte

À l’arrivée au camp de Kati, les téléphones portables des personnalités arrêtées leur sont retirés et les quatre hommes sont privés de tout moyen de communication. « Ils ont passé la nuit sous le coup de menaces de la part des cadres de l’ex-junte », précise une source diplomatique. Une nouvelle fois, Assimi Goïta met la pression sur Bah N’Daw : il exige la démission immédiate de Moctar Ouane et la réintégration au gouvernement des colonels Camara et Koné. Le président de la transition reste inflexible.

Selon nos sources, les ex-putschistes ont alors en réalité déjà pris leur décision. Dans une autre salle du camp de Kati, d’autres tractations sont déjà en cours entre les militaires et les responsables du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). Parmi eux, le président du comité exécutif du Mouvement, Choguel Maïga, et Mountaga Tall, président du Congrès national d’initiative démocratique (CNID).

Lors d’une entrevue qui s’est terminée aux alentours de 4 heures du matin mardi 25 mai, des cadres de l’ex-junte leur proposent de désigner au sein du M5 le futur Premier ministre. Maïga et Tall acceptent, mais, incapables de se mettre d’accord sur un nom, demandent un délai pour se décider. Entre temps, Bah N’Daw et Moctar Ouane sont officiellement placés « hors de leurs prérogatives ». Le nom du candidat à la primature, qui devra être validé par Goïta, devait être donné dans les prochaines heures, mais le M5-RFP est à l’heure actuelle très divisé.

« Un président mis aux arrêts ne revient plus aux manettes »

Quelle sera l’attitude de la communauté internationale ? Une délégation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a atterri ce 25 mai aux alentours de 15 heures à Bamako. Celle-ci, qui a d’ores et déjà réaffirmé son opposition à « toute ingérence militaire », est conduite par le Nigérian Goodluck Jonathan, médiateur attitré de l’organisation, Jean-Claude Brou, le président de la Commission, le général Francis Béhanzin, commissaire aux Affaires politiques, paix et sécurité, et Shirley Ayorkor Botchway, la ministre des Affaires étrangères du Ghana.

Jonathan a prévu de s’entretenir avec chacun des acteurs de la transition, dont – avec l’accord d’Assimi Goïta – Bah N’Daw et son Premier ministre. Mais, selon nos sources au sein du CNT, le sort du Premier ministre Moctar Ouane est d’ores et déjà scellé. « Le Premier ministre proposé par le M5 va être nommé par le vice-président Goïta (…) puis nous mettrons en place un gouvernement d’union nationale », affirme un cadre du CNT. Quant à Bah N’Daw, son cas n’est guère plus reluisant. « Un président mis aux arrêts ne revient plus aux manettes », confie Issa Kaou Djim, le quatrième vice-président du Comité national de transition et soutien indéfectible du colonel Goïta.

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