L’Union africaine et la re-crise malienne. La mauvaise leçon venue du Tchad (Me Thierno Souleymane Barry)

18 aout 2020 : coup d’Etat militaire au Mali avec le renversement du Président Keita et mise en place d’un Comité militaire. Ferme condamnation de l’UA et de la CEDEAO et fixation d’un plan de retour à un régime civil sous la gouverne du Président Bah Ndaw. 20 avril 2021 : annonce de la mort du Président Deby Itno et de son remplacement par un Comité militaire de transition présidé par son fils Mahamat Itno. Timide réaction de l’UA et de la CEEAC, avec aucune sanction en vue. Deux faits quasi-similaires ont abouti à deux réactions divergentes, en dépit de la ferme position de l’UA et de la CEDEAO sur le changement anticonstitutionnel du pouvoir qui est celle du refus d’acceptation d’un tel changement et l’exigence du retour à l’ordre constitutionnel. 28 mai 2021 : Assimi Goita renverse à nouveau le gouvernement civil intérimaire et nouvelles mesures fermes de l’UA et de la CEDEAO allant jusqu’à la suspension du Mali de leurs instances. Pour bien cerner cette déambulation politico-stratégique illisible, nous allons successivement effectuer un bref rappel du dispositif combiné de l’UA et de la CEDEAO sur le respect de la légalité constitutionnelle, la mauvaise leçon offerte par le précédent tchadien et les couacs dans la gestion du cas malien.

Bref rappel du dispositif combiné de l’UA et de la CEDEAO sur le respect de la légalité constitutionnelle en Afrique

Le continent africain, tirant les leçons de son passé tumultueux en matière de résistance au processus démocratique et des effets indésirables qui en résultent, s’est doté d’instruments contraignants allant dans le sens du respect de la démocratie et des droits de l’homme. C’est le sens de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance adoptée le 30 janvier 2007. Son article 32 condamne tout changement anticonstitutionnel de gouvernement, une condamnation assortie de sanctions allant de la suspension du dit Etat jusqu’au rétablissement de l’ordre constitutionnel. Le Protocole additionnel sur la démocratie et de la bonne gouvernance de la CEDEAO du 21 décembre 2021, lu avec le Protocole du 10 décembre 1999, abonde dans le même sens. Son article 1er c interdit tout changement anticonstitutionnel et son article 45 liste une série de sanctions culminant à la suspension du dit Etat des instances de la CEDEAO. Ces deux dispositions militent en faveur du respect du processus démocratique comme mode normale d’accession et du maintien au pouvoir, condamnent fermement la rupture de la légalité constitutionnelle et exigent son rétablissement sous peine de sanctions. A défaut d’un équivalent du dispositif de la CEDEAO dans la zone CEEAC, on peut bien indiquer que celui de l’UA couvrirait à suffisance aussi le cas tchadien.

La mauvaise leçon venue du Tchad ou la genèse d’un dangereux précédent pour la dévolution démocratique du pouvoir en Afrique

Pour rappel, le Président tchadien Idriss  Deby Itno venait d’être réélu pour gérer les destinées du Tchad pour un nouveau mandat lorsqu’il a été tué au front aux dires du communiqué officiel. En pareilles circonstances, on aurait pu respecter la légalité constitutionnelle selon les prévisions de la constitution tchadienne. Tel n’a pas été le cas. C’est un Comité militaire qui a été mis en place. Ainsi, la Charte africaine de la démocratie sus citée devrait-elle trouver à s’appliquer avec rigueur. Cependant, en lieu et place d’une telle démarche, on a assisté à un ballet diplomatique semblant bénir cet accroc à l’une des plus grandes réussites de l’UA et de la CEDEAO à savoir le refus absolu des coups d’Etats en Afrique. S’il faut tenir compte des aspects géostratégiques, il ne faut pas sacrifier les principes contenus dans la dite Charte.

Sans établir un lien direct entre le cas malien et celui tchadien, il est tout à fait légitime de s’interroger sur la fermeté avec laquelle les auteurs du coup d’Etat d’avril au Mali sont revenus sur la gestion consensuelle de la transition qu’ils avaient préalablement acceptés sous la menace des sanctions combinées de l’UA et de la CEDEAO. Pour ne pas vider la Charte africaine de la démocratie, il est nécessaire, pour le Mali, de continuer à accompagner la transition malienne par des moyens et l’expertise requise jusqu’au retour de la légalité constitutionnelle. Il doit en aller de même pour le cas tchadien, avec plus de fermeté.

Pour terminer, il est plus qu’impératif de revenir aux fondamentaux du dispositif de l’UA et de la CEDEAO sur le respect de la légalité constitutionnelle en Afrique dans le double but de décourager toutes velléités de changement anticonstitutionnel du pouvoir à travers des coups d’Etats et autres modes similaires et d’encourager l’instauration de la dévolution et du maintien démocratique du pouvoir sur le continent.

-Juris Guineensis No 6.

Conakry, le 02 juin 2021

Dr Thierno Souleymane BARRY,

Docteur en droit, Université Laval/Université de Sherbrooke (Canada)

Professeur de droit, Consultant et Avocat à la Cour