Blaise Compaoré, frère d’arme et ami intime du « père de la révolution burkinabée », est le principal accusé des 14 prévenus jugés à Ouagadougou.
Le 15 octobre 1987, l’ex-président et « père de la révolution burkinabée », Thomas Sankara, était tué lors d’un coup d’Etat : trente-quatre ans après, le procès des auteurs présumés de son assassinat s’ouvre, lundi 11 octobre, devant le tribunal militaire de Ouagadougou.
Ce procès, tant attendu par les familles des victimes du putsch de 1987 qui avait porté au pouvoir Blaise Compaoré, se tiendra sous haute surveillance des forces de défense et de sécurité dans un pays en proie à la violence djihadiste depuis 2015.
Principal accusé, Blaise Compaoré, 70 ans, vit, depuis qu’il a été renversé par une insurrection populaire en 2014, en Côte d’Ivoire, pays dont il a obtenu la nationalité, et ne se présentera pas devant le tribunal : ses avocats ont dénoncé « un procès politique » devant « une juridiction d’exception ».
Selon Stanislas Benewendé Sankara [aucun lien familial avec Thomas Sankara], avocat de la famille du leader « révolutionnaire » depuis 1997, « l’absence de Compaoré est un mépris pour la justice de son pays d’origine » et « dénote quelque part aussi sa culpabilité éventuelle ». Mais, juge-t-il, même si ce procès « n’est pas encore le bout du tunnel, nous amorçons un virage sur le plan judiciaire qui est très important ».
« Décoloniser les mentalités »
Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1983, Thomas Sankara a été tué avec douze de ses compagnons par un commando lors d’une réunion au siège du Conseil national de la révolution (CNR) à Ouagadougou. Il avait 37 ans.
Parmi les quatorze accusés figure aussi le général Gilbert Diendéré, 61 ans, l’un des principaux chefs de l’armée lors du putsch de 1987.
Devenu ensuite chef d’état-major particulier du président Compaoré, le général Diendéré purge déjà au Burkina une peine de vingt ans de prison pour une tentative de coup d’Etat en 2015.
MM. Compaoré et Diendéré sont tous deux accusés de « complicité d’assassinats », « recel de cadavres » et « d’attentat à la sûreté de l’Etat ».
Bras droit de Sankara, Blaise Compaoré a toujours nié avoir commandité l’assassinat de son frère d’armes et ami intime, bien que le putsch de 1987 l’ait porté au pouvoir.
Des soldats de l’ancienne garde présidentielle de Compaoré, notamment l’ancien adjudant-chef Hyacinthe Kafando, soupçonné d’avoir été le chef du commando et qui est actuellement en fuite, figurent également parmi les accusés.
La mort de Thomas Sankara, qui voulait « décoloniser les mentalités » et bouleverser l’ordre mondial en prenant la défense des pauvres et des opprimés, a été un sujet tabou pendant les vingt-sept ans de pouvoir de M. Compaoré. L’affaire a été relancée en 2015 par le régime de transition démocratique et un mandat d’arrêt émis contre M. Compaoré par la justice burkinabée en mars 2016.
« Commanditaires à l’extérieur »
Lors d’un voyage à Ouagadougou en novembre 2017, le président français Emmanuel Macron avait salué la mémoire de Thomas Sankara et annoncé la levée du secret-défense sur des documents relatifs à son assassinat.
Selon Halouna Traoré, ancien compagnon de Sankara et unique rescapé du coup d’Etat de 1987, le « procès nous amène, nous, Burkinabè, à nous regarder dans le miroir, à voir le tort qu’on s’est fait à nous-mêmes avec la complicité de l’extérieur, parce que le côté matériel du coup d’Etat s’est passé au Burkina, mais les commanditaires sont à l’extérieur ».
S’il se réjouit de la tenue du procès, le réseau international Justice pour Thomas Sankara, Justice pour l’Afrique note le risque qu’il soit « amputé du volet international » pouvant faire la lumière sur le rôle de la France, des Etats-Unis et de pays ouest-africains tels que la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët Boigny et le Togo de Gnassingbé Eyadema, alors ulcérés par les prises de position anti-impérialistes de ce jeune révolutionnaire adulé par la jeunesse africaine.
Selon le Comité international Mémorial Thomas-Sankara (CIMTS), « sauf contrainte de dernière minute », la veuve de Thomas Sankara, Mariam, qui vit depuis 1990 à Montpellier dans le sud de la France, devrait assister à l’ouverture du procès.
Le Monde avec l’AFP