Monénembo doit savoir qu’un travail bâclé ne donne pas un bon roman (Youssouf Sylla)

« Cette transition-ci est notre dernière carte, nous avons grillé toutes les autres » dit Monénembo. Il a raison sur ce point. Personne n’a intérêt à ce que cette transition échoue, sinon notre destination sera inconnue! Mais ce qui est étrange, Monénembo propose de griller notre dernière carte, en réduisant le rôle de la transition à deux choses: « expédier les affaires courantes et organiser des élections au-dessus de tout soupçon ». In fine, la transition doit à son avis, vite organiser les élections et quitter la scène. Monénembo fait-il semblant d’ignorer l’histoire politique de ce pays? Une histoire qui pourtant transparaît dans ses œuvres et différents commentaires sur l’évolution politique de la Guinée. Ignore t-il à ce point que les politiques sont les plus pourris dans ce pays et qu’ils sont les seuls responsables du « bilan désastreux » qu’il ne cesse d’évoquer. A moins qu’il n’ait un agenda politique caché, je vois mal comment il peut vouloir qu’on bâcle la transition, qu’on passe avec la vitesse d’un avion supersonique directement aux élections sans régler les questions préalables qui étaient à l’origine de l’irruption des militaires sur la scène politique. Veut il que les mêmes causes produisent demain les mêmes effets? Pense t-il que les problèmes de la Guinée et les defis d’une société démocratique se réduisent prosaïquement aux élections?

Contrairement à ce que dit Monénembo, il faut refonder l’État, abandonner les solutions simples et prendre conscience, sans petits calculs politiques derrière, du moment historique que vit notre société. Rien n’est acquis pour le moment, tout est à faire pour enclencher une dynamique vertueuses.

Comme indiqué, refonder l’Etat est different de le développer. Refonder c’est jeter les bases juridiques, institutionnelles et morales d’un nouvel Etat. Autrement, il convient sous cette transition, de doter le pays d’une nouvelle constitution, de nouveaux arsenaux juridiques pour crédibiliser le résultat des élections nationales, de récupérer les biens de l’État, de mettre en place une justice transitionnelle pour aider les guinéens à se réconcilier entre eux par le pardon et la réhabilitation des victimes, après un regard cru sur la vérité des événements tragiques de notre histoire commune et l’identification des responsables qui doivent répondre de leur forfaiture. Mais aussi de tout un tas de choses utiles que les politiques étaient congenitalement en incapacité de réaliser pour les Guinéens.

Tout ceci prend un « temps raisonnable ». A mon avis deux bonnes années au minimum sont à envisager à cet égard. Monénembo doit en être conscient. Il sait mieux que quiconque, qu’un travail bâclé ne donne pas un bon roman.

Youssouf Sylla

Juriste, analyste