Le coup d’Accra : la tête de Goïta mise à prix par la CEDEAO et la France

Emmanuel Desfourneaux, éditorialiste de SeneplusLes Maliens : nous allons les emmerder ! » C’est à peu de chose près le message envoyé par l’UEMOA et la CEDEAO, ce dimanche 9 janvier 2022. Quel mimétisme avec les récents propos tenus par Emmanuel Macon en direction des non vaccinés français !

Les modes opératoires sont assez similaires : isoler les récalcitrants, les mettre en marge de la société (pour les non vaccinés) et de la communauté internationale (pour les Maliens). Et ce dans l’optique de les faire plier et de mettre bon ordre.

Si les finalités sont louables (diminuer les hospitalisations graves pour les uns, le retour du pouvoir civil pour les autres), les méthodes pour y arriver font polémique. Pour le Mali, les sanctions arrêtées par l’UEMOA et la CEDEAO n’impactent pas seulement les autorités transitoires, celles-ci affectent aussi et durement la population malienne déjà accablée par la crise sécuritaire. Viennent s’ajouter dorénavant une insécurité commerciale et financière.

Si les groupes armés sont éclatés et divisés au Mali, les armées régulières ne se trouvent pas dans une meilleure posture, surtout si le point 9 du communiqué venait à être appliqué par la CEDEAO. À la myriade des forces armées (FAMa, Minusma, Barkhane, Takuba), risque de se greffer la « Force en attente » de la CEDEAO. Une intervention extérieure de plus serait du pain bénit pour l’État islamique au Grand Sahara et le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans.

À Accra, la CEDEAO, accusée parfois d’inaction, a donc frappé fort, avec la menace de bruits de bottes aux frontières du Mali. La CEDEAO est déterminée. Si, à juste titre, cette organisation régionale préserve les avancées démocratiques, sa réaction intransigeante à l’égard du Mali s’assimile à des représailles et non à une volonté pacifique de sortie de crise. Il est exigé du Mali, et en particulier des autorités transitoires, de mettre un genou à terre. Peu importe les dégâts collatéraux envers la population. C’est une mise sous tutelle du Mali qui a été ordonnée le 9 janvier.

Après tout, la CEDEAO pense à son avenir : l’Eco et la lutte contre le terrorisme ont besoin de la France.  La CEDEAO serait prête à sacrifier les Maliens sur l’autel de ses intérêts financiers et personnels. Ses sanctions accroîtront le nombre de réfugiés et risqueront d’appauvrir davantage les familles dont certains membres rallieront les djihadistes. En réalité, la CEDEAO n’a pas fait ce pari. Sa stratégie est d’en finir très vite avec le colonel Assimi Goïta. Sa tête a été mise à prix par la CEDEAO. C’est l’art d’étrangler la population malienne pour qu’elle tourne le dos aux autorités transitoires. C’est un pari risqué mais jouable. La CEDEAO pense en finir en quelques jours ou semaines avec la Junte. Elle quittera le pouvoir en paix ou par une insurrection. En tournée à Dakar, l’appui de l’influent Mahmoud Dicko semble acquis pour la CEDEAO.

J’ai lu la décision de la CEDEAO, avec un petit sourire en coin. Commençons par la fin du communiqué ! Ce document, qui appelle à la restauration de l’ordre constitutionnel, est signé, entre autres, par les présidents Béninois, Togolais et Ivoiriens. Ces derniers jouissent d’une très bonne réputation d’orthodoxie constitutionnelle et sont légitimes à faire un tel appel !

Toujours un petit sourire en coin lorsque la CEDEAO reproche aux autorités transitoires de prendre en otage les Maliens. Du fait de la sévérité des sanctions, la CEDEAO ne fait que plonger la population malienne dans un chantage abject : choisissez le colonel Goïta et vous périrez ; choisissez la CEDEAO et la France, et votre avenir sera prometteur.

Derrière la décision de la CEDEAO, c’est bien le bras de fer qui se cache entre Emmanuel Macron et le colonel Goïta. Noir de colère, le président français avait pesté contre les renseignements généraux français pour avoir manqué de vigilance au Mali, Tchad, Sénégal et en Guinée. L’année 2021 avait été l’une des plus éprouvantes – voire cauchemardesques, pour la France dans son pré carré.  En ce début d’année 2022, fort de la présidence de l’Union européenne, Emmanuel Macron repart à la reconquête de l’Afrique. Il a obtenu de la CEDEAO deux concessions : la menace d’une intervention militaire de la CEDEAO mais surtout la référence au groupe Wagner (point 11 du communiqué).

Emmanuel Macron doit savourer sa vengeance sur le colonel Goïta, en ce dimanche 9 janvier. Son premier déplacement en qualité de président en Afrique, il l’avait réservé aux militaires français de la base de Gao (mai 2017). Le président IBK était parti à sa rencontre. La France régnait en maître au Mali, c’était la belle époque ! Fin décembre 2021, Emmanuel Macron annule son Noël à Gao, la donne a changé, il faut passer par Bamako !

Durant son mandat, Emmanuel Macron a beaucoup appris sur l’Afrique. Il faut travailler les alliances, placer des chevaux de Troie (Macky Sall et Alassane Ouattara), se faire petit si nécessaire (appel à plus grand que soit, à l’exemple des Etats-Unis : exclusion AGOA), refonder une rhétorique sur la démocratie à géométrie variable. Au Mali, cette nouvelle stratégie française de la contre-attaque peut porter ses fruits : élimination politique ou physique du colonel Goïta, rapprochement de la France vers les partis politiques opposés aux Assises Nationales de Refondation (dont le prochain président malien sera issu er donc contrôlable !), déclenchement de la guerre d’information sur Wagner par les journaux français, financement de la société civile africaine (Sommet Montpellier Afrique France) …

Le pouvoir civil malien piaffe d’impatience de revenir aux affaires du pays. C’est dans l’ordre normal de la vie politique. Pour autant, ce même pouvoir civil a-t-il fait son mea culpa à l’égard de la population malienne ? Corruption, incompétence notoire, ont été à l’origine de l’effondrement de l’État malien. Si la démocratie doit faire son retour au Mali, ne faut-il pas s’assurer avant tout d’une maturité républicaine ? À quoi bon de remettre au pouvoir des civils inaptes à l’exercice républicain du pouvoir ? Quel a été le bilan du pouvoir civil face à la dégradation sécuritaire au Mali ?

Un duel en France avait fait naître l’expression « Coup de Jarnac ». Ce dimanche 9 janvier 2022, le 4ème Sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la situation du Mali aura fait naître une nouvelle expression « Coup d’Accra », connue dès lors qu’il s’agira d’étrangler un peuple, sans foi ni loi, pour servir des intérêts obscurs et contradictoires.

edesfourneaux@seneplus.com